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phes de considérer le Tunguragua on Marañon, issu du lac de Lauricocha, dans la Cordillère de Bombon, comme le tronc de l’Amazone[1]. Puis, cette opinion fut abandonnée et les cartologues revendiquèrent pour la rivière Ucayali, continuation de l’Apu-Paro, l’honneur de cette paternité. Seulement, comme ils n’étaient pas bien d’accord sur la naissance de l’Ucayali lui-même, que les uns assuraient être notre Quillabamba-Santa-Ana, et les autres l’Apurimac, on ne sut trop d’abord à laquelle des deux rivières on devait rattacher l’Amazone. Le temps finit par éclaircir tous les doutes à cet égard. Aujourd’hui l’Apurimac ou Tampu est définitivement reconnu pour le tronc véritable et le père du roi des fleuves. À ceux qui demanderaient la raison de cette préférence, nous répondrons que le cours de l’Apurimac est plus long de vingt-cinq lieues que celui du Quillabamba-Santa-Ana, et qu’il est navigable, ainsi que certains de ses affluents, mais seulement pour des pirogues, sous des latitudes où le Quillabamba-Santa-Ana n’est encore qu’un ruisseau-torrent encombré de pierres.

Les rives de l’Apurimac et celles de la plupart de ses affluents dans la région du Pajonal, furent explorées de bonne heure par des moines et des jésuites, qui avaient réuni dans les missions du Cerro de la Sal, de Jésus-Maria, de San Tadeo de los Autos, etc., etc., comprenant une soixantaine de villages, quelques milliers de catéchumènes de la nation Antis, divisée, comme nous l’avons dit, en une douzaine de tribus. Pendant une période d’un siècle et demi (cent cinquante-cinq ans) ces religieux animés d’un saint zèle, catéchisèrent aux dépens de leur vie, les hordes barbares de la région du Pajonal, aujourd’hui éteintes ainsi que les missions et les villages qu’on avait fondés à leur intention. Les bibliothèques des couvents du Pérou abondent en relations imprimées et manuscrites qui traitent au long de ces prédications et de ces massacres. En 1635, le moine Ximenez inscrit son nom en tête de ce martyrologe que ferme en 1790 le père Mateo Menendez[2].

Source de la rivière Apurimac.

Pour compléter cette notice sur l’Apurimac nous voudrions pouvoir annoncer aux statisticiens qui voient l’avenir de l’humanité dans les débouchés commerciaux des peuples, que cette rivière dont ils se préoccupent depuis longtemps est une voie tracée par la nature pour faire communiquer la frontière du Brésil avec l’intérieur du Pérou. Mais cette théorie de cabinet, prônée par certains traités de géographie, est irréalisable dans la pratique à cause de la profondeur variable de l’Apu-Paro, des rapides, des écueils, des bas-fonds et des dépôts alluvionnaires dont il est littéralement semé ; à moins que les volcans voisins faisant l’office de pionniers, ne viennent en aide au commerce et à l’industrie, et par des commotions et des déchirements, ne dégagent, déblayent, élargissent et creusent cette grande voie pour la mettre en état d’être parcourue, l’imagination recule devant les travaux préparatoires qu’il faudrait entreprendre avant d’arriver à constater son utilité[3].

  1. Cette erreur naquit des suites d’un procès intenté en 1687 par les franciscains de Lima aux jésuites de Quito, au sujet du village ou mission de San Miguel des Conibos, que les derniers réclamaient comme leur propriété légitime. Pour baser le jugement qu’elle était appelée à rendre dans l’affaire, la Real Audiencia de Quito demanda une carte des lieux, qui fut dressée par le P. Samuel Fritz, de la Compagnie de Jésus. Le crédit dont les jésuites jouissaient à cette époque dans le monde savant fut cause qu’on adopta, sans discussion, son tracé orographique, où le Tunguragua était considéré comme le tronc de l’Amazone. Cette erreur fut reproduite pendant près d’un siècle et demi par nos cartographes européens.
  2. C’est de la seule région du Pajonal que nous entendons parler ici et non de la contrée limitrophe, si improprement appelée Pampa del Sacramento, et qui, elle aussi, a eu, comme sa voisine, ses apôtres et ses martyrs.
  3. Cette voie transitable, dont se préoccupent les voyageurs et les géographes, est trouvée depuis longtemps. La nature a pris soin de la tracer par les rivières Pachitea, Pozuzo et Mayro, qui con-