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une bibliothèque, et par une armoire ouverte, où sont rassemblées les productions chinoises les plus précieuses et les plus rares en pierres et en antiques. »

Ces objets précieux du cabinet de l’empereur ont été rapportés depuis en Europe où ils ont figuré dans des ventes publiques très-recherchées des amateurs. Ils ornent maintenant leurs propres cabinets. Mais ce qui est à jamais regrettable c’est la perte de la grande bibliothèque formée par Khien-loung dans sa résidence d’été et qui a été incendiée en 1860 par lord Elgin, avec tous les palais que ce grand empereur y avait fait construire. Nous sommes heureux que les représentants de la France en Chine n’aient pas voulu se rendre complices de cet acte de sauvage barbarie.

Nous tenons d’un officier supérieur français qui avait visité le Palais d’été avant l’incendie, que ce qu’il avait vu de plus remarquable était la Bibliothèque ; elle comprenait, nous disait-il, trois grandes galeries comme celles du Louvre, toutes pleines de livres, rangés du haut en bas, à la manière chinoise, couchés dans leur enveloppe de carton le plus souvent couvert de soie. C’était une collection des éditions les plus belles et les plus rares des principaux ouvrages chinois, dont le catalogue, seul, rédigé par les plus savants lettres de l’Académie impériale des Han-lin, forme cent vingt-huit volumes. Le nombre des ouvrages qu’il décrit s’élève à 10 500. Mais il y en a un grand nombre de très-volumineux, tels que le Koù kîn thoû choû tsi tchîng, « Encyclopédie d’ouvrages choisis avec figures, tant anciens que modernes, » publié sous le règne du célèbre empereur Khang-hi (de 1662 à 1724), et formant à lui seul cinq mille volumes. On dit que 30 exemplaires en ont été tirés.

Comme nombre et comme choix, la Bibliothèque du Palais d’été pouvait être comparée à celle qui fit jadis l’orgueil d’Alexandrie. Elle était, comme celle-ci, l’expression de la civilisation de tout un monde, et, comme elle, elle a disparu dans des flammes qui n’étaient pas allumées par les nécessités de la guerre.

En résumé, nous ne pouvons mieux clore cette monographie nécrologique d’une des plus grandes merveilles de l’Orient, qu’en empruntant à la relation officielle de l’expédition de Chine en 1860 (publiée par le lieutenant de vaisseau Pallu), les paroles suivantes :

« L’impression que produisit la vue du Palais d’été sur les alliés, sur des hommes très-différents les uns des autres par l’éducation, par l’âge et par l’esprit, fut la même : on ne chercha pas si les genres étaient comparables ; on fut frappé d’une manière absolue, et on l’exprima en disant que tous les châteaux impériaux de France n’auraient point fait un Youen-ming-youen ! »

Qu’ajouter à un pareil aveu !

G. Pauthier