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mense pavillon américain qui flotte au-dessus du fort Pierre[1]. Le fleuve est presque entièrement barré par des bancs de sable mouvant et nous avançons lentement, guidés par la sonde ; la brise s’élève tout d’un coup, le brouillard se dissipe et fait place à un charmant paysage que nous saluons de trois hourras et d’une décharge de notre petite artillerie. Nous avons devant nous le fort Pierre avec ses bastions et ses blanches murailles ; tout autour sont dressées une centaine de loges en peaux de bison, les unes d’une blancheur éblouissante, les autres bariolées et couvertes de peintures fantastiques.

À quelques pas de nous, sur la rive, un groupe d’Indiens en habits de fête, la figure barbouillée de rouge, de jaune et de blanc, immobiles comme des statues, appuyés sur leurs fusils, nous examinent d’un air sombre et inquiet. Sans doute, ils se demandent ce que renferme cet immense bateau de feu, qui, l’année précédente, leur apportait le choléra, et s’il n’est pas cette fois-ci porteur d’un fléau plus terrible encore.

À peine avons-nous touché terre, qu’une cinquantaine de jeunes guerriers et de femmes envahissent le pont, pénètrent dans le salon, dans les cuisines, partout enfin, examinant, touchant et goûtant tout, et malgré les remontrances de nos cuisiniers nègres, une immense marmite remplie de bouillie de mais est vidée en un instant. Le reste des provisions aurait sans doute eu le même sort, si un des chefs n’était arrivé à temps pour disperser à coups de fouet cette bande de loups affamés.

L’ordre est bientôt rétabli, et une dizaine de sauvages bien armés et uniformément habillés par la Compagnie, remplissent d’un air grave et digne le rôle de gendarmes et d’officiers de police.

Îles flottantes du Missouri.

Le fort Pierre est un immense carré, formé de quatre murailles en palissades d’une hauteur de cinq mètres et d’une longueur de deux cents ; il est défendu au nord, à l’est et au sud-est par trois bastions armés de canons.

Les bâtiments de la Compagnie sont construits parallèlement aux palissades ; ce sont les habitations des employés, directeurs, commis, interprètes, puis d’immenses magasins remplis de provisions, de marchandises et de fourrures, une forge où l’on fabrique des haches, des casse-tête et des couteaux pour les Indiens, des ateliers de menuiserie, ferblanterie, enfin des écuries et étables, et une poudrière.

Le gouverneur du fort nous reçoit de la manière la plus gracieuse, et nous fait préparer par une de ses femmes un excellent déjeuner, où figurent des langues de bison, du pemmican[2], et d’excellent pain de maïs.

Établi depuis nombreuses années dans le territoire sioux, il a adopté certains usages indiens et entre autres la polygamie, non pas, nous dit-il, dans un but condamnable, mais simplement par politique et pour les intérêts de son commerce. Entouré de sept femmes appartenant à sept tribus différentes de la nation dakotah, il a ainsi l’avantage d’être assuré du dévouement d’une armée de beaux-frères, d’oncles et de cousins, ce qui lui donne une grande influence et facilite ses rapports avec les Indiens. Nous reproduisons cette excuse pour ce qu’elle vaut.

Voulant célébrer l’arrivée du steamboat, le gouverneur donna un grand festin suivi d’un bal. Le premier consistait en une bouteille de whiskey, une livre de farine et un peu de graisse de bison pour chacun des convives, composés de voyageurs, chasseurs, coureurs, etc.

Des feux sont allumés au milieu du fort, on fait des monceaux de crêpes que l’on arrose de copieuses libations, et deux joueurs de violon, l’un Canadien, l’autre

  1. Ce fort ou poste de traite fut fondé par un Français, M. Pierre Chouteau, un des directeurs de la Compagnie Américaine (American fur Company).
  2. Voyez la note de la page 59.