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Steamer naviguant sur le Missouri.


VOYAGE DANS LES MAUVAISES TERRES DU NEBRASKA

(ÉTATS-UNIS),


PAR M. E. DE GIRARDIN (DE MAINE-ET-LOIRE).
1849-1850. — TEXTE ET DESSINS INÉDITS[1].


I


Voyage de Saint-Louis au fort Pierre Chouteau.

J’avais été chercher fortune à Saint-Louis, la grande cité du Missouri ; tour à tour commissionnaire, colporteur, ou conducteur de mulets, j’allais aussi, moi, suivre le courant de l’émigration vers la terre promise de Californie, quand je rencontrai un géologue américain qui devait partir ce jour même pour un long voyage d’explorations à travers le continent américain. J’obtins de l’accompagner comme dessinateur ; on me demanda deux heures pour faire tous mes préparatifs de voyage, c’est-à-dire, acheter un pantalon de peau de daim, deux chemises de laine, un revolver et une carabine, et je m’embarquai sur le steamboat Iowa, au milieu d’une cohue et d’un brouhaha des plus étourdissants. Les nombreux amis des passagers nous accablaient d’une grêle d’oranges et poussaient des hourras frénétiques, les maîtres d’équipage frappaient les matelots ivres, on se disputait et on jurait en toutes sortes de langues de l’ancien et du nouveau monde, au milieu des sifflements aigus et des grondements sourds de notre puissante machine, dont la vapeur nous enveloppait d’un nuage épais.

On sait que les steamboats américains ne ressemblent en rien aux chétives embarcations de nos rivières ; ce sont d’immenses constructions à trois étages, surmontées de deux énormes cheminées, de véritables caravansérails où le voyageur trouve tout le luxe et le confortable d’un hôtel de première classe. Aussi une dame de Saint-Louis, voulant donner une haute idée d’une maison meublée et décorée avec luxe, disait : « C’est presque aussi beau qu’un steamboat ! »

Nous étions deux cents passagers environ, la plus grande partie passagers d’entre-pont, pauvres aventuriers engagés pour un an à la Compagnie Américaine, qui fait le commerce des pelleteries du Far-West. Il y avait des types de tous les pays du monde : Parisiens barbus, les uns victimes des événements politiques, les autres, déserteurs de la colonie de Cabet ; Danois, Allemands, Espagnols, Anglais, Irlandais, nègres, mulâtres, Indiens et métis. Les plus nombreux, cependant, étaient les Canadiens ; doués d’une constitution de fer, habitués aux voyages et aux dangers, ce sont d’excellents chasseurs et des coureurs d’aventures infatigables.

À la chambre, nous avions trois géologues, un botaniste, deux officiers de l’armée américaine et un jeune prince allemand et sa suite. La race indienne y était représentée par deux sauvagesses pur sang, dont l’une, fille d’un chef Pied-Noir, et mariée à un directeur de la Compagnie des Fourrures, est bien connue dans le haut Missouri, par l’heureuse influence qu’elle y exerce…

  1. Tous les dessins joints à cette relation ont été exécutés par M. Lancelot, d’après les croquis rapportés par le voyageur.