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rigènes, sur tout ce qui est de nature, en un mot, à éclairer le passé et à servir le présent.

Il y a encore plus d’une découverte a faire dans les dépôts littéraires ou scientifiques ; il y a à contrôler, avec la rigueur que la science exige aujourd’hui, les études déjà publiées sur un certain nombre de monuments, et à rechercher les monuments jusqu’à présent inexplorés ; il y a à reconnaître de vastes parties du pays que l’on peut dire encore inconnues, sur les deux pentes étagées qui descendent des hautes plaines centrales aux deux mers environnantes. Nous reprenons la tâche admirablement ébauchée, il y a soixante et un ans, par Alexandre de Humboldt, et dont l’illustre explorateur légua l’achèvement à l’avenir. C’est une succession glorieuse que la France, dans la position où les circonstances l’ont placée, ne pouvait décliner.

Que nous resterait-il de notre expédition d’Égypte, sans le monument littéraire où l’intuition divinatrice de Champollion a su retrouver le secret des siècles ? À notre tour, restituons à la science les monuments de la terre mexicaine ; ils trouveront, eux aussi, leur Champollion. Ce sera pour nous un devoir que nous remplirons avec un vif intérêt, et cet intérêt, nous l’espérons, sera partagé par nos lecteurs, que de suivre le progrès des travaux dirigés par la Commission, et celui des études qui se rattacheront à ces travaux.


III

Des explorations considérables et d’importantes publications nous rappellent en Afrique. Notre Société de Géographie avait à décerner sa médaille annuelle pour l’exploration la plus importante accomplie en 1861 ; le lauréat qu’elle a proclamé est M. Henri Duveyrier, pour son voyage du Sahara algérien. Cette haute distinction était pleinement méritée. Les lecteurs du Tour du Monde ont pu juger, par quelques communications, des qualités éminentes qui distinguent le jeune voyageur[1] ; les espérances qu’on avait conçues dès les premiers moments ont été largement justifiées par le volume maintenant imprimé de la relation[2], et par la grande carte dont ce volume est accompagné. Une région inexplorée d’une vaste étendue, qui se prolonge au sud de l’Algérie orientale et de la Tunisie jusqu’au Fezzan, est entrée dans le domaine de la géographie positive ; un grand vide de cette partie de la carte d’Afrique qui nous touche de si près, a été rempli. Par des lignes de route croisées en divers sens, par une longue suite d’observations astronomiques et barométriques, par une riche collection d’informations indigènes scrupuleusement contrôlées et combinées avec soin, M. Duveyrier a pu nous apporter, figurée à une grande échelle, l’image détaillée d’une des parties les plus curieusement conformées du Sahara. Là où nous n’imaginions, il y a quelques années à peine, qu’une suite monotone de plaines de sable inhabitables et inhabitées, nous voyons se dessiner de vastes oasis couvertes de hautes montagnes, sillonnées de fraîches vallées, arrosées en certaines parties par de véritables fleuves qui ont leurs intermittences et leurs débordements, habitées enfin par une nombreuse population pastorale. C’est tout une révolution dans la géographie du Grand Désert.

La mémorable relation du docteur Barth, connue des lecteurs du Tour du Monde, nous y avait préparés, aussi bien que le voyage de Boû-Derba, un de nos interprètes algériens, de Laghouat à Gh’ât, et les missions de plusieurs de nos officiers du Sénégal dans les parties du Sahara qu’habitent les tribus maures au sud du Maroc ; mais nul ne l’avait présentée d’une manière aussi authentique et aussi complète que l’a fait M. Henri Duveyrier. Le pays où nous placent ces curieuses informations est celui des Touâreg Hogghâr, la plus importante des quatre branches entre lesquelles se divisent les Touâreg du Grand Désert. Les trois autres sont les Azghâr de l’oasis de Gh’ât, les Kélouï de l’oasis d’Aïr, et les Aouâlimmimidên de la rive gauche du Kouâra (le grand fleuve du Soudan occidental), au-dessous de Timbouktou.

Partagées en un grand nombre de tribus, ces quatre familles de la nation targhî[3] se sont ainsi réparties dans les cantons habitables du Sahara central, où elles conservent, quoique séparées, les témoignages indélébiles de leur identité d’origine, les mêmes usages, les mêmes traits, le même idiome.

Les Touâreg sont une branche, la plus importante aujourd’hui et la seule qui ait conservé sa complète autonomie, de la race nombreuse qui peupla originairement, sous le nom primordial de Berbers, tout le nord de l’Afrique. Ce nom de Berbers, qui subsiste encore aujourd’hui en diverses parties de la vallée du Nil au-dessus de l’Égypte, se lit dans les vieilles inscriptions pharaoniques[4]. Les Berbers sont une race à part, dont les origines, comme celles de toutes les races humaines, se perdent dans les ténèbres des premiers âges du monde, mais qui a eu son développement propre à travers les temps historiques. Selon les contrées qu’ils occupèrent, depuis le Nil jusqu’à l’Atlantique, ils reçurent des Égyptiens et des Phéniciens, et après ceux-ci des Grecs et des Romains, les diverses appellations de Libyens, de Numides et de Maures[5]. C’est de l’ethnique Berber que s’est formé par corruption notre nom de Barbarie, appliqué au nord-ouest de l’Afrique. Difficilement accessible aux civilisations importées, le gros des Berbers conserva toujours sa sauvage indépendance, même au temps de la puissance de Carthage et de Rome, et ils ne dépassèrent jamais les habitudes de la vie pas-

  1. Dans notre deuxième volume de 1861.
  2. Exploration du Sahara. Les Touâreg du Nord, par H. Duveyrier. Paris, 1864, un volume grand in-8o de xvi-501 pages, avec figures.
  3. Targhi est le singulier dont la forme plurielle est Touâreg.
  4. Bérabérata.
  5. Libyens, du punique (ou de l’hébreu) Lahabïm, dont la dérivation est douteuse ; Numides, du grec Nomadès, pasteurs ; Maures, du punique Mahourim, les Occidentaux.