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ses côtés extérieurs et matériels. Le pays avait de grandes villes, des routes, des canaux, toute une organisation politique, de grandes cultures, une industrie fort avancée dans certaines directions, un déploiement de luxe et d’apparat propre à frapper les yeux, quoiqu’on y pût découvrir plus d’une réminiscence de la vie barbare. Pour Cortez et ses compagnons ce fut un spectacle merveilleux, tant une pareille société était différente de tout ce que les Espagnols avaient vu jusqu’alors au Nouveau-Monde. Comme toute société organisée, la nation de Montézuma avait son histoire et ses monuments. Les monuments, d’un caractère religieux, étaient des constructions massives dont la forme pyramidale rappelait celles de la vallée du Nil ; les souvenirs historiques étaient consignés dans des livres écrits en caractères symboliques, dont l’intelligence était réservée aux prêtres du pays et aux personnages principaux de la nation. L’écriture proprement dite, l’écriture alphabétique, n’existait pas. Aujourd’hui la première pensée serait de recueillir précieusement ces documents du passé, pour y chercher les origines du peuple conquis ; les Espagnols du seizième siècle avaient d’autres préoccupations. Sous l’influence d’un monachisme ignorant, ces livres en signes inconnus d’un aspect étrange furent regardés — ce sont les expressions du temps — comme une œuvre du démon propre à entretenir les indigènes dans leurs croyances païennes. Ils furent frappés de la même sentence que les hérétiques, le bûcher. Tous les manuscrits mexicains que l’on put découvrir furent détruits. Très-peu échappèrent à cette proscription inepte. Heureusement plusieurs des chefs convertis, qui possédaient quelques-uns de leurs livres nationaux ou qui en gardaient fidèlement le contenu dans leur mémoire, voulurent consigner par écrit les fastes de leur patrie. Ils rédigèrent en espagnol des histoires que les archives de Mexico ou de Madrid ont conservées, et qui de nos jours ont été pour la plupart traduites en français sur les manuscrits et publiées par un homme qui a bien mérité de la science historique, M. Ternaux-Compans. Nous pouvons apprécier ainsi en pleine connaissance ce qu’était l’histoire mexicaine. Les annales de la dynastie régnante au temps de la conquête espagnole, paraissent avoir été fidèlement conservées ; cela remonte à deux cents ans environ avant Cortez. Les temps antérieurs appartiennent à d’autres races, et on n’en a plus que des notions vagues, d’autant plus vagues, quant aux faits et aux époques, qu’on s’enfonce plus avant dans le passé. Il est question de grandes migrations successives sorties des contrées du Nord et qui s’étaient tour à tour abattues sur le Mexique, — sur l’Anahuac, comme on nommait le plateau central ou s’élève Mexico. La plus ancienne de ces migrations, la première du moins dont on eût gardé le souvenir positif, était celle des Tolteks ; après ceux-là étaient venus les Tchichimeks, puis les Azteks qui étaient la race de Montézuma. L’origine de la civilisation mexicaine est rapportée aux Tolteks. Les Tchichimeks, qui les expulsèrent, ramenèrent avec eux la barbarie ; et enfin la première civilisation avait repris le dessus avec la domination aztèque. Ces vieux souvenirs sont tout à la fois mêlés d’embellissements légendaires qui éveillent à bon droit la défiance de la critique, et de circonstances archéologiques et géographiques dont la réalité a été constatée par des découvertes récentes. Il y a là, comme dans les premiers souvenirs de la Grèce et de Rome, un fond réel que la transmission orale a plus ou moins dénaturé, ainsi que cela arrive toujours aux traditions que l’écriture n’a pas fixées. Au total, les origines mexicaines, telles que les chroniqueurs indigènes du seizième siècle nous les ont transmises, nous offrent une énigme historique pleine d’obscurités, — une énigme que nous ne croyons pas insoluble, tant s’en faut, mais qui jusqu’à présent n’a été abordée qu’à travers des préoccupations étrangères ou des vues systématiques. Ce qu’elle attend encore, c’est une critique sérieuse et véritablement compétente.

Les questions qui s’offrent ici à l’investigation de la science ne se renferment pas dans le cercle isolé des origines mexicaines. N’y aurait-il que ce problème à éclaircir, ce serait déjà un objet digne de notre attention ; mais il a une bien plus vaste portée. D’un côté, il tient étroitement aux questions générales que soulève dans son ensemble l’ethnologie américaine ; de l’autre, il conduit inévitablement à une série de recherches contingentes sur les autres centres de civilisation aborigène de l’isthme américain et des plateaux péruviens. Entre ces civilisations du Sud et la civilisation mexicaine, il y a eu indubitablement des rapports à peine entrevus jusqu’à présent, mais que des investigations bien dirigées éclairciront, il faut l’espérer. C’est, on le voit, tout un ensemble d’études qui s’ouvre devant nous, — études linguistiques, ethnographiques et archéologiques ; ou plutôt c’est une science tout entière qui va prendre sa place à côté des grandes études historiques de l’Ancien Monde.

La création d’une Commission scientifique rattachée à notre expédition du Mexique est une pensée généreuse ; elle sera l’honneur du gouvernement qui l’a conçue et du ministre qui l’a organisée. La Commission a été constituée par un décret impérial du 29 février ; elle siége à Paris et a pour objet d’éclairer par des instructions précises les recherches à faire, de même que plus tard elle aura à préparer, pour la publication d’un grand ouvrage, les travaux qu’elle aura reçus de ses voyageurs. Son action ne dépasse pas les limites du Mexique, et le champ est assez large ; mais les études sévères et précises qu’elle doit inspirer et diriger deviendront, on n’en saurait douter, la base et le point de départ de bien des investigations ultérieures. Elle aura inauguré les études américaines.

Sa tâche immédiate est de provoquer dans les diverses parties du Mexique un ensemble combiné de recherches qui doivent porter à la fois sur l’histoire et l’archéologie, sur la géographie, la constitution physique, la géologie et les branches multiples de l’histoire naturelle, sur la constitution physique des habitants et tout spécialement de la race native, sur les langues ou les dialectes abo-