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dans une maison assez pauvre : c’est un frêle jeune homme plein de nonchalance et de grâce, le Narcisse qui entend au loin la nymphe Écho : sa tête est penchée, son oreille tendue, son doigt tourné vers l’endroit d’où vient le bruit ; tout son corps écoute.

On a recueilli d’autres œuvres moins parfaites peut-être, mais charmantes : le Pêcheur assis de la petite fontaine en mosaïque, le groupe d’Hercule tenant un cerf accroupi sous son genou, un petit Apollon accoudé, lyre en main sur un pilier, un vieux Silène portant une outre, une jolie Vénus arrangeant ses cheveux mouillés, une Diane chasseresse, etc., etc. — Sans compter les Hermès et les doubles bustes. Les moins remarquables de ces marbres attestent le besoin d’élégance qui entrait si profondément dans les mœurs des anciens. Chez nous, l’art n’est jamais que le superflu, quelque chose d’insolite et d’étranger à nos idées et à nos habitudes. Si nous avons une Vénus de Milo sur la pendule de notre cheminée, ce n’est pas que nous adorions la beauté, ni qu’à notre sens il y ait le moindre rapport entre la Mère des Grâces et l’heure qu’il est : Vénus se trouve fort dépaysée, elle s’ennuie. Pour trouver quelque analogie avec le sentiment qui devait animer les Pompéiens, il faudrait aller dans nos campagnes où règne encore une divinité d’autrefois, la Gloire, et admirer avec quelle religion l’on y conserve les lithographies grossières du vieux Drapeau et du petit Caporal. Là seulement, l’art moderne est entré dans les mœurs : vaut-il l’antique ?

Que si de la peinture et de la sculpture nous descendons aux genres inférieurs ; si, comme nous avons essayé de le faire dans la maison de Pansa, nous dépouillons le musée pour repeupler les habitations pompéiennes et que nous remettions à leur place le beau candélabre avec la panthère sculptée qui emporte, en courant l’enfant Bacchus, le scyphus précieux où deux centaures prennent en croupe de petits amours ; l’autre vase où Pallas se tient debout sur un char, appuyée sur sa lance ; la casserole d’argent (il y avait des casseroles d’argent !) dont le manche est attaché par deux têtes d’oiseaux ; la simple balance (on sculptait des balances !) où l’on voit un demi-buste de guerrier coiffé d’un casque splendide ; enfin les humbles objets, les plus ignobles ustensiles, la simple poterie couverte d’ornements gracieux, quelquefois exquis — si nous allons demander au musée de Naples ce qui remplaçait chez les anciens les affreuses boîtes ou nous enfermons nos morts, et qu’on nous montre ce beau vase qui paraît incrusté d’ivoire et qui présente en bas-reliefs des masques enveloppés de pampres compliqués, tortueux, chargés de grappes, entremêlés d’autres feuillages, s’enchevêtrant de folles arabesques, formant des rosettes où perchent des oiseaux et ne laissant que deux espaces libres où des enfants chers à Bacchus cueillent ou foulent des raisins, touchent des lyres, soufflent dans la double flûte ou tombent en faisant claquer leurs doigts, — (or le vase est en verre bleu, les reliefs en verre blanc : les anciens ciselaient le verre !) — ah ! sans doute, en voyant toutes ces merveilles, vous serez forcé de reconnaître que les bourgeois de l’ancien temps étaient, pour le moins, aussi artistes que nous. Il n’y avait pas de distinction entre le nécessaire et le luxe des arts, entre le positif et l’idéal. L’art était le pain quotidien et non le gâteau des dimanches ; il entrait partout, éclairait, égayait, parfumait tout. Il ne flottait pas en dehors ni au-dessus de la vie ; il en était l’âme et la joie ; il la pénétrait enfin et il en était pénétré lui-même — il vivait. Voilà ce que nous ont appris ces modestes ruines.


VI

Les THÉÂTRES.

Distribution des salles de spectacle. — Les billets d’entrée. — Le velarium, l’orchestre, la scène. — L’Odéon. — Les coulisses, les masques. — La Caserne des Gladiateurs. — L’Amphithéâtre.

Pompéi a deux théâtres, l’un tragique, l’autre comique : ou plutôt, l’un assez grand, et l’autre plus petit.

La salle du grand théâtre formait un hémicycle adossé contre une butte, si bien que les gradins montaient du parterre au paradis sans s’appuyer sur de massives substructions. C’était, en ceci, une construction grecque. Les quatre gradins supérieurs appuyés sur un corridor voûté à la romaine dominaient seuls la hauteur où règnent le Forum triangulaire et le temple grec. Vous allez donc de plain-pied de la rue aux dernières galeries, d’où vos yeux, par dessus la scène, peuvent embrasser la campagne et la mer et plonger au-dessous de vous dans ce ravin régulier, où s’assirent autrefois cinq mille Pompéiens affamés de spectacles.

À première vue, trois grandes divisions nous apparaissent ; ce sont les ordres de gradins, les caveæ. Il y a trois caveæ : l’infime, la moyenne et la supérieure. L’infime est la plus noble ; elle ne comprend que les quatre gradins inférieurs, plus larges et moins hauts que les autres. C’étaient les stalles réservées aux magistrats et aux notables ; ils y faisaient porter leurs siéges et les bancs à deux places (les bisellia), où ils avaient le droit de s’asseoir tout seuls. Un petit mur élevé derrière le quatrième gradin et surmonté d’un appui de marbre qui a disparu séparait l’infime cavée des autres. Les duumvirs, les décurions, les augustales, les édiles, Holconius, Cornelius Rufus, Pansa, siégeaient là majestueusement, distingués du commun des mortels.

La cavée moyenne était pour les simples bourgeois. Partagée en coins (cunei) par des escaliers qui la coupaient en six endroits, elle contenait un nombre limité de places, marquées par des lignes légères et encore visibles. Un billet de spectacle (tessera, tessère) en os, en terre cuite ou en bronze, sorte de jeton taillé en amande ou en pigeon, quelquefois en bague, indiquait exactement la cavée, le coin, le gradin et la stalle qui vous appartenait. On a retrouvé de ces tessères, avec des chiffres grecs et romains (preuve que des chiffres grecs n’auraient pas été compris sans traduction). Sur l’une d’elles, est inscrit le nom d’Eschyle au génitif ; on en a conclu que le Prométhée ou les Perses auraient été représentés sur le théâtre pompéien, à moins que ce génitif ne désignât un des coins distingué par le nom ou par la statue du tra-