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rien à Pompéi, mais on n’y conservait même pas les monuments découverts. Le roi Ferdinand trouva bientôt que les vingt-cinq mille francs consacrés aux fouilles étaient mal employés ; il les réduisit à dix mille, et cet argent s’égrenait en route, en passant par beaucoup de mains. Pompéi retombait peu à peu, n’offrant plus que des ruines de ruines.

Pompéi. — Remontage des wagons à déblai vides. — Dessin de Émile Bayard d’après un dessin inédit de M. Duclere.

Le gouvernement italien établi par la révolution de 1860 nomma inspecteur des fouilles M. Fiorelli, qui est l’intelligence, l’activité même (je ne dis rien de son érudition, prouvée par de nombreux écrits). Sous son administration, les travaux, vigoureusement repris, ont employé à la fois jusqu’à sept cents ouvriers. Ils ont déterré, en trois ans, plus de trésors qu’on n’avait fait dans les trente années précédentes. Tout a été réformé, moralisé dans la ville morte ; le visiteur donne 2 francs à la porte et n’a plus à payer les tas de guides, de porte-clefs, de gamins et de mendiants qui le dévalisaient autrefois. Un petit musée, établi depuis peu, fournit aux curieux l’occasion d’examiner sur place les curiosités découvertes : une bibliothèque contenant déjà les beaux livres de Mazois, de Raoul-Rochette, de Gell, de Zahn, d’Overbeck, de Breton, etc., etc., publiés sur Pompei, permet aux studieux de les consulter dans Pompéi même ; des ateliers récemment ouverts travaillent continuellement à la restauration des murs lézardés, des marbres et des bronzes ; on peut surprendre à l’œuvre l’artiste Bramante, le plus ingénieux restaurateur d’antiquités qui soit au monde, et mon ami Padiglione qui, avec une admirable patience et une fidélité minutieuse, découpe un petit modèle en liége des ruines déblayées, scrupuleusement exact. Enfin (et c’est le grand point), on, ne travaille plus aux excavations de temps en temps, devant quelques privilégiés, mais devant le premier venu et tous les jours, à moins que l’argent ne manque. « J’ai assisté bien des fois, écrivait l’an dernier un demi-Pompéien dans la Revue des deux Mondes, j’ai assisté bien des fois, pendant de longues heures, assis sur un banc de gravier qui cachait peut-être des merveilles, à ce rude et intéressant labeur dont je ne pouvais détacher mes yeux. Je suis donc en mesure de parler sciemment. Je ne dis pas ce que j’ai lu, mais ce que j’ai vu. Trois systèmes, à ma connaissance, ont été employés pour les fouilles. Le premier, inauguré sous Charles III, était le plus simple ; il consistait à creuser le sol, à déterrer les objets précieux et à recombler les fosses : excellent moyen de former un musée en détruisant Pompéi. Ce procédé fut abandonné, dès qu’on s’aperçut qu’on avait affaire à une ville. Le second système perfectionné peu à peu dans le dernier siècle, fut vivement poursuivi sous Murat. On se mit à l’œuvre sur plusieurs points à la fois, et les ouvriers, marchant les uns vers les autres, perçant et coupant la colline, suivaient les rues qu’ils frayaient pas à pas devant eux. C’était déjà procéder mieux ; mais on pouvait beaucoup mieux faire encore. En suivant les rues au ras du sol, on attaquait par le bas le coteau de cendre et de pierre ponce qui les obstruait, et il en résultait des éboulements regrettables. Toute la partie supérieure des maisons, à commencer par les toits, s’écroulait dans les décombres, outre mille objets fragiles qui se brisaient ou se perdaient, sans qu’on pût déterminer l’endroit d’où ils étaient tombés. Pour obvier à cet inconvénient, M. Fiorelli vient d’inaugurer un troisième système. Il ne suit pas les rues au ras du sol, mais il les marque par-dessus la colline, et trace ainsi, parmi les arbres et les terres cultivées, de vastes carrés indiquant les îles souterraines. Nul n’ignore que ces îles (isole, insulæ), dans la langue moderne de l’Italie comme dans l’ancienne, signifient des pâtés de maisons. L’île tracée, M. Fiorelli rachète le terrain qui avait été vendu par le roi Ferdinand Ier, et cède les arbres qu’il y trouve[1].

  1. L’argent qu’il en retire sert à former la bibliothèque pompéienne dont j’ai parlé plus haut.