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nent volontiers écouter la parole des prêtres ; plus volontiers encore, ils regardent les images et les signes extérieurs du culte, mais au bout de peu de temps, n’ayant aucun profit immédiat à tirer de leur docilité, ils s’éloignent pour aller, disent-ils, chercher de quoi vivre. Le fait est que la disette règne en général dans le pays, non par la faute du sol, naturellement fertile, mais par celle des habitants qui le cultivent à peine, dévorent les moissons à moitié vertes, et vivent ensuite ou de poisson pêché dans le fleuve, ou de tortues ramassées à l’intérieur des terres.

Les dignes prêtres, dont je parle, n’ont jamais eu à se plaindre des indigènes. Ceux-ci étaient même favorablement disposés pour les Européens jusqu’au moment où les trafiquants du Nil Blanc sont venus, par des atrocités sans pareilles, semer ici des ferments de haine et de vengeance. C’est à partir de ce temps que les missionnaires, envisagés comme précurseurs de toutes ces abominations, ont vu leurs pieux efforts frappés d’une stérilité irrémédiable. L’oisiveté forcée à laquelle ils se trouvaient ainsi condamnés a plus fait que tout le reste pour décimer leur petite cohorte, en les poussant à des excès de régime que l’ardeur du climat rend essentiellement insalubres.

Ce fut à Gondokoro que je reçus mes premières correspondances d’Angleterre ; ce fut là que sir Roderick Murchison m’annonça que la Société royale de géographie m’avait décerné sa grande médaille (Founder’s Medal) pour avoir découvert, en 1858, la Victoria N’yanza.

Gondokoro sur le Bahr-el-Abiad. — Dessin de A. de Bar.


Conclusion.

Le reste de mon voyage vers Alexandrie ne fut pas sans incidents et fit passer sous mes yeux des tableaux tout à fait dignes de la description que j’aurais pu leur consacrer en d’autres circonstances. Mais il me semble que j’ai mis la patience du lecteur à une épreuve très-suffisante, et je ne veux pas surcharger ma relation de ce qui ne se rattache pas directement au grand problème dont je poursuivais la solution. Je termine donc ce voyage, après vingt-huit mois de travaux, par quelques explications ayant pour but de comparer les diverses branches du Nil avec ses affluents et d’établir leur valeur respective.

Le premier de ces affluents, le Bahr-El-Ghazal nous étonna singulièrement ; en effet, le grand lac marqué sur nos cartes à l’extrémité d’un coude formé par le Nil, était remplacé par une simple pièce d’eau, une espèce d’étang, perdu pour ainsi dire dans un océan de roseaux. Le vieux Nil semblait passer avec dédain devant cette insignifiante annexe d’où l’on arrive bientôt devant la branche de la rivière Saubat qui sous le nom de Géraffé constitue le second affluent du grand fleuve ; elle décrit en y tombant une courbe gracieuse ; son courant est rapide et paraît profond, mais sa largeur ne s’étend pas sur plus de cinquante pieds.

Vient ensuite le Saubat lui-même (sous le 29° de longitude est, et le 9° 20’48” de latitude nord), plus large mais moins rapide que la Géraffé. Le Nil est considérablement accru par cette double addition, mais il n’avait cependant pas le noble aspect qui nous avait tant frappés immédiatement après la saison des pluies pendant notre navigation sur les canots de l’Ounyoro.

Le Saubat se déverse dans le Nil par une troisième branche devant l’embouchure de laquelle je passai malheureusement sans être prévenu. Celle-ci du reste est assez connue, et mes regrets s’en trouvent diminués d’autant.

Il faut parler maintenant de ce fameux Nil Bleu qui, même comparé à la Géraffé, simple branche du Saubat, n’est qu’une très-mesquine et très-insignifiante rivière. Alimenté selon toute apparence par quelques chaînes de montagnes, il doit être sujet à de grandes fluctua-