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fiquait pour le moment du côté de N’yambara, c’est-à-dire à soixante et dix milles à l’ouest de Gondokoro, bien qu’il eût pris soin, après mon départ d’Angleterre, d’ouvrir une souscription couverte jusqu’à concurrence de mille livres sterling par les amis qui, me croyant en danger, voulaient le mettre à même de nous venir en aide. C’est à eux que je dédie ce livre, faute de pouvoir leur témoigner autrement ma vive reconnaissance.

Au lieu de remonter le Nil immédiatement, comme il aurait pu le faire au dire des personnes les plus compétentes, — Pétherick, s’attardant à faire construire une embarcation, avait laissé passer en grande partie la saison favorable. Les vents du nord lui manquèrent sous le 7° de latitude, et il partit alors par la voie de terre pour se rendre à son entrepôt de N’yambara. Je dois dire qu’il avait envoyé ici un vakil, et quelques barques, qui avaient ordre d’aller le rejoindre à N’yambara et de marcher ensuite au sud de cette station, dans le but ostensible de découvrir ou je pouvais être : mais ceci était contraire aux instructions que je lui avais données en quittant l’Angleterre, non moins contraire aux intentions qu’il exprimait en ouvrant la souscription dont j’ai parlé, contraire enfin à l’opinion hautement exprimée de tous les Européens engagés dans le même commerce que lui. Ils étaient unanimes à dire que Pétherick serait allé directement à Faloro et de là plus avant dans la direction du sud, si son commerce à l’ouest du Nil ne l’avait détourné du côté de l’ouest.

Baker m’offrit ses barques pour descendre à Khartoum, mais il me demandait en même temps si je n’avais pas laissé derrière moi quelque entreprise à compléter, quelques résultats à obtenir qui pussent compenser pour lui les fatigues et la dépense considérable de l’expédition qu’il avait organisée.

Les Turcs de Mohamed préparant de l’ivoire. — Dessin de Émile Bayard.

Je lui parlai naturellement de ce luta (ou lac) Nzigé que j’avais eu le regret de ne pas pouvoir explorer. Je lui décrivis le Nil, tel que nous l’avions laissé dans le Chopi, se dirigeant vers l’ouest ; tel que nous l’avions retrouvé dans le Madi, venant de la même direction, navigable, assurait-on, jusqu’à Koshi et probablement aussi jusqu’au petit Luta Nzigé. Si donc il en était ainsi on pouvait, au moyen de barques construites dans le Madi, plus haut que les cataractes, ouvrir de vastes contrées aux bienfaisantes influences de la navigation. Baker parut disposé à exécuter ce plan de campagne ; il se lia peu à peu avec Mohamed qui promit de le conduire jusqu’à Faloro et auquel j’offris trois carabines par manière de gratification.

En attendant une bonne occasion lunaire pour déterminer la longitude, je demeurai à Gondokoro chez Baker, et ceci me procura l’occasion de causer à mainte et mainte reprise avec le chef de la mission autrichienne (M. Morlang) et deux de ses collègues qui, avant de quitter Kich pour retourner à Karthoum, étaient venus jeter un dernier regard sur leur ancien établissement.

Il est fort aisé de comprendre que le gouvernement autrichien se soit lassé d’entretenir ici des prédicateurs de l’Évangile. Sur vingt missionnaires qui depuis treize ans, sont venus porter la parole de Dieu sur les bords du Nil, treize sont morts de la fièvre, deux de la dyssenterie, deux autres ont dû fuir avec une santé à jamais détruite, et, en regard de tant de sacrifices, il serait impossible de placer une seule conversion qui mérite d’être signalée. Les missionnaires cependant reconnaissent aux habitants du Bari un certain degré d’élévation morale, d’intelligence et de courage ; mais les nécessités de la vie matérielle, l’absence de toute autorité protectrice, l’insécurité du travail qui engendre nécessairement la paresse, constituent des obstacles à peu près insurmontables. Les enfants indigènes vien-