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Charles-Quint en avait fait sa chapelle impériale et l’avait appelée « salle Notre-Dame. » Le porche, couvert de bonnes sculptures de Schonover, est tout à fait récréatif. On a bâti dessus une jolie chapelle dont Adam Krafft a orné la tourelle et encadré l’horloge. Autrefois les villageois et les villageoises faisaient asseoir, pendant les heures du marché, leurs enfants devant l’horloge comme devant un théâtre, pour voir tourner les sept électeurs autour de l’empereur Charles IV. Le peuple appelait cela la Mænnleinlaufen (la course des petits hommes). Peu à peu le vieux mécanisme s’est rouillé comme la vieille politique ; les petits électeurs se sont fatigués de tourner : rien ne va plus[1].

Depuis 1816, la Frauenkirche a été rendue au culte catholique. On l’a fort inutilement surchargée de nouveaux ornements : elle était assez riche déjà en vitraux peints, en beaux autels, en sculptures d’Adam Krafft. Son œuvre la plus précieuse est un beau rétable de la fin du quatorzième siècle, dont les peintures sur fond d’or sont attribuées à Conrad Wolgemuth : il appartenait avant 1816 à l’église du Sauveur. Il décore aujourd’hui l’autel de la famille patricienne des Tucher.




Une rue voisine de l’église de la Vierge porte un nom qui éveille des souvenirs poétiques. Hans Sachs, cordonnier de par sa pauvreté, prince des Meistersanger de par son talent, y passa presque toute sa longue vie, en bon et honnête homme, tirant assidûment son alêne pour nourrir sa famille, tout en improvisant dix-sept cents contes ou fabliaux, deux cents drames, des psaumes, des satires de mœurs, des facéties, en tout plus de six mille pièces de vers. On montre sa maison noire, chétive (S. 969), qui, par une exception rare, ne porte pas la moindre trace de la vénération de Nuremberg pour ses gloires anciennes. On vend de la bière dans la boutique de l’illustre cordonnier, si toutefois la maison n’a pas été entièrement reconstruite.

Hans Sachs avait une figure douce et respectable ; il aimait ardemment sa patrie et était naïvement religieux.

Un jour Gœthe rencontra une gravure sur bois qui représentait allégoriquement Hans Sachs et sa muse. Il prit plaisir à l’interpréter dans un petit poëme où il a imité le style et la manière du vieux Meistersanger. En voici, ce me semble, l’idée générale et le mouvement :

« C’est aujourd’hui dimanche. Voyez ! notre cher maître, jeune encore, entre dans son atelier. Il n’a pas son sale tablier de cuir ; non, vraiment, il a mis son beau pourpoint de fête. Son alêne est plantée sur sa boîte à ouvrage, et le marteau, la pince et le ligneul dorment auprès.

« Comme son regard est sincère, vif et bienveillant !

« Une femme entre à son tour. Elle le salue avec amitié. Elle est jeune, belle ; elle marche droit, avec une agréable simplicité. Ses yeux ont l’éclat d’un jour pur.

« Ce n’est pas, j’imagine, une vraie femme : ce doit être la muse de Hans Sachs. Appelons-la, si vous voulez, l’active Honnêteté, la Grandeur d’âme ou la Droiture.

« Elle ouvre une fenêtre.

« Regarde le monde, dit-elle au brave Hans, regarde et prends courage. Observe bien cette fourmilière, tous ces hommes qui se pressent, se poussent, se tirent, s’embrouillent. Démêle dans ce tourbillon l’histoire véritable de la vie humaine. Raconte-la simplement, honnêtement, sans enjolivement, sans grimace, avec plénitude et force de vérité, comme Albert Durer. Sois juste, loyal. Appelle le mal par son nom. Estime et honore la vertu.

« Puis la muse s’élève dans le cadre de la haute fenêtre, se pose légèrement sur le bord argenté d’un nuage, et de là elle montre à Hans Sachs, derrière la maison, dans un jardinet, une gracieuse jeune fille, assise sous un pommier, près d’un petit ruisseau limpide qui gazouille et coule sous un buisson de sureau. Elle tresse une couronne de roses, et elle rêve.

« Hans, ne vois-tu pas ? ne comprends-tu pas ? Le bonheur, le voilà. Ce qui agite en ce moment le cœur de la douce bien-aimée, c’est l’attente. Que tardes-tu ? Voilà l’épouse qui te fera oublier la fatigue, les peines de l’âme, qui te consolera si jamais la fortune t’est contraire, qui renouvellera ta jeunesse dans une constante abondance de joie sereine et de félicité. »




Encore une église, et celle que les Nurembergeois tiennent, je crois, pour la plus belle de toutes, leur cathédrale, l’église Saint-Laurent. Auprès on remarque, devant la curieuse maison de Nassau, crénelée et à tourelles couvertes de toits (1350-60), une œuvre agréable en bronze ou en fonte, la « fontaine des Vierges, » fondue en 1589 par Benedict Wurzelbauer : il y a plaisir à en regarder les figures ; six vierges, emblêmes des vertus, laissent jaillir de leur sein de minces filets d’eau cristalline ; six enfants portent les armes de la ville et sonnent de la trompette ; au sommet est perchée la justice près d’une grue.

Saint-Laurent a, comme Saint-Sebald, son chef-d’œuvre de sculpture. On l’appelle le tabernacle de Saint-Laurent, ou la maison mystique, ou encore la maison sacramentelle d’Adam Krafft. C’est un édifice gothique, plein d’art et de fantaisie, adossé à un des piliers du chœur, et qui n’a pas moins de soixante-quatre pieds de haut. De loin, l’aspect général est celui d’une sorte de végétation en pierre s’élevant en pyramide. En approchant, on voit d’abord au bas trois statues d’hommes de grandeur naturelle, à demi agenouillés, qui portent sur leur tête, leur dos ou leurs épaules, avec l’air de la fatigue, une galerie à jour où des figures de

  1. Lorsque la maison de Franconie s’éteignit par la mort de Henri V, la noblesse d’Allemagne résolut de rendre l’empire réellement électif. À l’élection de Lothaire, en 1124, les princes confièrent, dit-on, le choix préalable de l’empereur à dix personnes choisies dans leurs rangs. Une loi d’Othon, de l’année 1208, paraît fixer ce privilége des princes électeurs, qui ne sont plus alors que sept. Ces origines sont, du reste, encore fort obscures. L’institution des « électeurs de l’empire, » supprimée en 1806 avec l’empire d’Allemagne lui-même, rétablie en 1814, a définitivement disparu lors de la création de la Confédération germanique, en 1815.