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être autorisés à quitter ses États. Le roi s’est empressé de faire dresser la tente, et il a vanté l’adresse des hommes blancs qui, au lieu de pots de terre, savent en fabriquer avec du fer. Mais après ce premier élan de satisfaction, donnant de nouveau carrière à ses sentiments cupides, il prétend que nous devons avoir encore d’autres espèces de verroterie ; et, quant au congé, il s’est borné à répondre « qu’il y songerait et nous enverrait sa décision par son kamraviona. » Le commandant en chef est effectivement venu nous prier d’attendre que les gens, chez lesquels nous devons passer, aient été prévenus, sans quoi, nous risquerions d’être molestés. Kamrasi m’envoie d’ailleurs un pot de pombé, me restitue mes albums, et me prie de lui envoyer un portrait du roi de l’Ouganda.

3 novembre. — Je lui envoie le dessin demandé, en y joignant quelques reproches sur son manque de parole, et en lui faisant annoncer que je veux partir sans délai. « Le Bana est toujours trop pressé, » me fait-il répondre ; et le Kamraviona est ensuite venu nous offrir, de la part de son maître, une charge de farine, un pot de pombé, plus deux lances pareilles à celles que j’ai reçues du roi de l’Ouganda. On me promet de plus un bouclier et deux lances qui sont destinés à Grant. Nous sommes invités à prendre patience jusqu’à ce qu’on ait obtenu l’assurance que les gens du Kidi ne nous chercheront pas querelle, ainsi qu’ils en ont manifesté le projet. S’ils persistent, on nous donnera une puissante escorte et on nous fera prendre le chemin de l’Ougungu. Encore une tentative pour nous entraîner à faire campagne contre les frères du monarque.

On devine l’accueil que je devais faire à de pareilles insinuations. Je déclarai dans les termes les moins ménagés que je refuserai tout présent qui ne serait pas offert à titre d’adieu ; que je ne voulais plus ni rien entendre, ni rien attendre ; que je ne croyais pas aux prétendus périls de la route ; que je n’acceptais les mensonges de personne, pas plus ceux d’un roi que de tout autre. Bref, je posais un ultimatum. Si le Kamraviona ne me rapportait pas immédiatement une réponse satisfaisante, les deux lances ne passeraient pas la nuit chez moi, et je les renverrais avec opprobre.

Kamrasi s’émut tout de bon : « Eh bien, dit-il, que le Bana boive en paix notre pombé, qu’il garde nos lances ; il n’entre pas dans mes vues de le retenir prisonnier. » L’ambassade est revenue m’annoncer en grande hâte que j’aurai demain ou après une audience finale, après laquelle je partirai bien escorté, pour la station où m’attendait le bateau de Pétherick.

Le lendemain, le Kamraviona vient encore réclamer des présents. Nous l’envoyons au diable, lui et son maître. « Pour qui nous prend-on ? que signifient de si grossières insultes ! Doute-t-on de notre parole ? Si ceci continue, pas un homme blanc ne reparaîtra dans ces parages. » Le Kamraviona, sans trop s’effaroucher de ces brusqueries, nous pose de la part du roi les questions suivantes : « Avons-nous un remède qui empêche les enfants de mourir en bas âge ? » C’est un inconvénient fort commun dans le pays. « Connaissons-nous un remède qui attache les sujets à la personne de leur souverain ? » J’ai à ceci une réponse toute prête : « L’intelligence du gouvernement, sa sagesse, son respect pour ce qui est juste, voilà tout ce que je connais en fait de médecines pareilles. Les enfants du roi, s’il veut nous en confier pour les faire élever en Angleterre, pourront apprendre en ce pays les conditions de ce traitement, et à leur retour, ils donneront au roi les renseignements dont il paraît avoir besoin. »

7 novembre. — Rien de plus amusant, après tous ces marchandages mesquins, ces instances éhontées, que l’attitude majestueuse de Kamrasi, lorsqu’il nous a reçus pour la dernière fois dans son palais. Du haut de son trône de peaux, il semblait nous traiter comme d’humbles esclaves, et voulait nous faire énumérer encore une fois les divers objets que nous devions lui expédier par le retour de notre escorte. Nous lui fîmes comprendre que nous n’aimions pas à revenir sur des promesses une fois faites, et comme il faisait une dernière réponse, allusion directe à son désir de nous avoir pour alliés contre ses frères, nous lui répétâmes encore une fois, qu’une intervention de ce genre n’était point autorisée par les lois de notre pays. Il lorgnait les anneaux de Grant, et les lui demanda nettement, mais sans le moindre succès. Nous lui reprochâmes, en revanche, l’indiscrétion de ses procédés, l’avertissant que, s’il ne réprimait l’intempérance de ses désirs, personne à l’avenir ne se croirait en sûreté près de lui.

8 novembre. — Le roi ne semble se préoccuper en aucune façon de ce qui nous est indispensable pour voyager. Il a fallu lui demander aujourd’hui des vaches, du beurre, et du café. Les vaches seules nous ont été envoyées ; pour le reste, il eût fallu s’y prendre d’avance, Vingt-quatre hommes nous escortent jusqu’au Gani, d’où ils rapporteront nos présents fixés d’avance et dont voici le texte : six carabines et un approvisionnement de munitions, un grand pot de métal, en bronze ou en fer, une brosse à cheveux, des allumettes, un couteau de table et tout ce qu’on pourra se procurer d’objets inconnus aux naturels de l’Ounyoro.


XV

Navigation sur la Kafu et sur le Nil. — Les chutes de Karuma. — Traversée du Kidi et du Madi. — Traitants turcs.

Avant notre départ de Chaguzi, qui eut enfin lieu le 10 novembre, j’avais sollicité la permission, qui m’a été accordée, de continuer ma route sur la rivière aussi loin qu’elle serait navigable, tandis que notre bétail s’en irait à sa destination par la voie de terre. L’excellent Kamrasi, en échange de quelques capsules qu’il désirait, nous a autorisés de plus à saisir en son nom tout le pombé que nous trouverions à bord des bateaux par nous rencontrés. Les approvisionnements du palais ne se font pas d’autre manière.

Bientôt, passant de nos légers canots sur une grande barque, nous nous trouvâmes au sortir de la Kafu dans ce qui nous sembla un lac oblong, dont la largeur varie