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Palais de Kamrasi, roi de l’Ounyoro. — Dessin de A. de Bar.


LES SOURCES DU NIL, JOURNAL D’UN VOYAGE DE DÉCOUVERTES,

PAR LE CAPITAINE SPEKE[1].
1860-1863. — TRADUCTION INÉDITE. — DESSINS EXÉCUTÉS D’APRÈS LES ILLUSTRATIONS ORIGINALES DE L’ÉDITION ANGLAISE.


XIV

L’Ounyoro. — La résidence de Kamrasi. — Six semaines dans l’Ouganda. Politique de Kamrasi. — Le départ.

Au sein d’un véritable océan de verdure marécageuse, s’élève, sous le 1° 37′ 43″ de latitude nord et le 32° 19′ 49″ de longitude est, et au confluent du Nil Blanc et de la rivière Kafu[2], le palais de Kamrasi, le roi des rois. C’est une hutte massive, écrasée, qu’entourent une quantité d’autres plus petites ; au demeurant, la demeure la moins royale que nous ayons encore rencontrée, depuis notre départ de l’Ouzinza. Mais, si modeste qu’elle soit, cette résidence, englobée dans le village de Chaguzi, n’est pas d’un facile accès. Je n’ai pas oublié ce que m’a dit Mtésa sur les habitudes inhospitalières de Kamrasi, qui loge volontiers ses hôtes au bord de la rivière, et je proteste contre toute combinaison qui m’éloignerait du palais. C’est mon droit, et j’attends qu’on me donne satisfaction. Kajunju, l’introducteur des ambassadeurs, revient cependant avec force pombé ; il faudra, dit-il, me contenter de quelques huttes assez mal rangées et assez malpropres, au delà de la rivière Kafu. On avisera demain à nous installer mieux dans le palais même. Mais ici, comme dans l’Ouganda, le lendemain est toujours ajourné.

Le 11 septembre, avec tous les dehors d’une politesse contrainte, le roi nous fait demander de nos nouvelles. Il nous recevra demain ; il nous installera selon nos vœux ; il fera jeter des ponts sur les ruisseaux qui nous séparent de son palais. En attendant, il demande deux paquets de cartouches, l’un qu’on tirera devant ses femmes, l’autre devant des indigènes du Kidi, présentement en mission auprès de lui.

Je lui expédie Bombay et deux de mes hommes ; on lui amène une vache qu’il s’agit de tuer devant le roi et devant ses hôtes. Bombay, qui voit à regret s’épuiser nos munitions, fait la plus belle résistance du monde. Il se rejette sur les ordres du Bana, et, finalement, enjoint à ses hommes de manquer à dessein la victime désignée. Le roi, sans se formaliser autrement, ajourne au lendemain le sacrifice solennel qu’il me supplie d’autoriser. J’y consens à mon tour, mais en insistant de plus belle pour avoir audience et pour qu’un logement convenable me soit assigné.

12 septembre. — Bombay a tué la vache au grand ébahissement des gens du Kidi, qui, dans leur effroi, demandent à repartir de suite. Le roi paraît flatté, mais il ne veut pas encore se départir de ces retards qui constatent à ses propres yeux la haute dignité de sa couronne. Il s’est expliqué avec Bombay sur les motifs réels qui lui ont fait longtemps redouter notre visite. Les rap-

  1. Suite et fin. — Voy. pages 273, 289, 305, 321, 337 et 353.
  2. Déversoir le plus occidental du lac N’yanza.