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davantage que je ne suis rentré chez moi. Je comptais une année par cinq mois, ainsi que cela se pratique dans l’Ouganda.)

— Il faudra donc, quand vous serez au Gaui, m’envoyer de l’eau-de-vie. Cette boisson-là fait dormir et donne des forces. »

Nous allâmes ensuite chez la reine pour lui faire nos adieux, mais nous ne fûmes pas admis auprès d’elle.

7 juill. — Mtésa nous a conviés de bonne heure à venir prendre congé de lui. Dans mon désir de ne lui laisser que des impressions favorables, j’obéis à l’instant même. J’avais pendu à mon habit le collier que m’avait donné la reine, le couteau dont lui-même m’avait fait présent, et je cherchais à ne l’entretenir que des idées les plus flatteuses pour son imagination, évoquant tour à tour les souvenirs des parties que nous avions faites ensemble sur le lac, des exploits dont il m’avait rendu témoin, vantant son adresse et le berçant des brillantes perspectives qui s’ouvriraient devant lui, une fois que le commerce serait inauguré entre l’Angleterre et l’Afrique centrale. Nous nous levâmes alors pour nous incliner à l’anglaise, la main sur le cœur, et Mtésa, qui nous avait répondu avec une sensibilité de bon goût, nous rendit exactement notre salut, geste pour geste, à l’instar d’un véritable singe.

À peine avions-nous quitté le palais, que le roi en sortit avec son cortége ordinaire, et dans l’ordre accoutumé. Nous crûmes devoir nous y joindre. Budja, le chef désigné pour nous servir de guide, m’avait fort inquiété en me laissant entrevoir qu’il se faisait une fausse idée de l’orientation d’Ouroudogani. Mtésa voulut bien entrer à ce sujet dans les explications les plus complètes, « et cela, disait-il, parce qu’il m’aimait beaucoup. » — Puis, arrivé près de notre camp, il voulut une dernière fois passer la revue de nos hommes, dont il loua la tournure martiale et qu’il encouragea de son mieux à nous rester fidèles jusqu’au bout. « Avec de tels soldats, me disait-il, vous ne devez trouver aucune difficulté à pousser jusqu’au Gani. » Nous échangeâmes alors de nouveaux adieux, et s’éloignant à grands pas, il entreprit l’ascension d’une des hauteurs voisines, tandis que Lubuga, sa jolie favorite, nous envoyait avec ses petites mains des signes de regret et d’amitié : « Bana, Bana ! » criai telle, tout en suivant son maître au petit trot, plus émue que ses compagnes, dont aucune, cependant, ne se montrait tout à fait indifférente à notre départ ; — nous nous séparions alors, très-probablement, pour ne plus nous revoir jamais.


XIII

Déversoirs du N’yanza et tête du Nil.

Le 7 juillet, à une heure de l’après-midi, commence notre voyage au Nord. Le sirur Budja est chargé de la direction générale ; un lieutenant du Sakibobo doit, à la première station, nous pourvoir de soixante vaches ; et enfin un vouakungu nommé Kasoro nous procurera des barques à Ourondogani sur le Nil. Les Vouanguana protestent, n’ayant pas de rations, qu’ils ne porteront pas de fardeaux, et menacent de nous tirer dessus si nous voulons les y contraindre ; ils oublient, en premier lieu, que j’ai payé leur nourriture en donnant au roi divers objets, fusils, chronomètres, etc., qui représentent une valeur de deux mille dollars ; secondement, ce qui est bien plus essentiel, que les munitions de guerre sont entre nos mains. Un judicieux emploi de la bastonnade, que nous leur faisons entrevoir en perspective, remet les choses sur un meilleur pied et nous franchissons en cinq jours, à travers un beau pays montagneux où les riches cultures alternent avec les jungles, une distance de trente milles qui séparent la capitale de la bourgade où nous voici. Nous lui avons donné le nom de Kari, — qui est celui d’un de mes gens, — à cause d’un événement tragique dont il sera question ci-après.

Nos marches étaient organisées de manière à se ressembler beaucoup. Lorsque nous avions voyagé pendant un certain nombre d’heures, Budja désignait tel ou tel village où nous devions nous arrêter pour passer la nuit, prenant soin d’omettre ceux qui appartenaient à la reine, afin de ne pas engager Mtésa dans une querelle désagréable avec sa mère, et choisissant, au contraire, de préférence, les localités dont les chefs avaient été récemment arrêtés par ordre du roi. Partout ou nous arrivions, cependant, les villageois prenaient la fuite, abandonnant leurs jardins et tout ce qu’ils possédaient à la rapacité de notre escorte. J’avais peu à peu perdu tout espoir de mettre un terme à ces ignobles pratiques ; le roi y prêtait les mains, et ses gens entraient toujours les premiers pour enlever avec une effronterie sans pareille les chèvres, les volailles, les peaux, les mbugu, les cauries, les perles de verre, les tambours, les lances, le tabac, le pombé, en un mot, tout ce qui leur tombait sous la main. C’était pour eux une vraie campagne de maraudeurs, et chacun se trouva bientôt chargé d’autant de butin qu’il en pouvait porter.

La nécessité de rassembler les vaches que le roi nous donnait ayant rendu indispensable de faire halte dans cette localité où se trouve un de ses plus vastes pâturages, je m’étais mis en quête de quelque gibier nouveau et j’avais déjà blessé un zèbre, lorsque des messagers envoyés à ma recherche vinrent m’apprendre qu’un de mes gens, nommé Kari, venait d’être assassiné à trois milles de l’endroit où nous nous trouvions. Ceci, malheureusement, n’était que trop vrai. Il s’était laissé persuader, ainsi que quelques-uns de mes hommes, d’aller à la picorée avec une demi-douzaine de Vouaganda de notre escorte ; et ils avaient choisi pour but de leur expédition certain village de potiers, attendu que Budja réclamait les vases nécessaires à la fabrication du vin de banane, le premier soin auquel on vaque dès que le camp est formé. Cependant, comme ils approchaient de cette bourgade où on ne voyait encore que des femmes, celles-ci, au lieu de s’enfuir ainsi que nos braves y comptaient sans doute, se mirent à crier haro sur eux, ce qui fit accourir les maris, disposés à se défendre vigoureusement. Nos gens ne songèrent plus qu’à jouer des jambes et se seraient tous échappés si le pauvre Kari se fût