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venu que, dès demain, elle traitera cette affaire avec son fils.

En réalité c’était bien là notre premier rayon d’espérance, et je m’occupai d’organiser nos opérations futures de manière à leur faire produire quelques résultats pratiques, sans effaroucher l’humeur capricieuse de notre hôte. Tandis que j’inspecterais le fleuve et que j’essayerais de naviguer jusque dans le Gani, Grant, pensai-je, pourrait retourner par eau dans le Karagué pour aller y chercher notre arrière-train ; cette traversée sur le lac lui permettrait de se procurer les informations dont il a été frustré par les manœuvres du commandant de son escorte. Nous tombâmes d’accord là-dessus, et tout semblait aller au mieux, car même une fois assurés de pouvoir communiquer un jour ou l’autre avec Petherick, il nous restait encore beaucoup à faire, soit dans l’Ouganda, soit dans l’Ousaga.

Pendant le reste de notre conversation avec la reine, nous la vîmes bercer dans ses bras une espèce de poupée toute recouverte de cauries, et qui avait à peu près la forme de cette végétation qu’on appelle coco de mer ; ces allures de maternité factice indiquaient de sa part l’intention de garder un veuvage éternel.

Speke et Grant en audience chez la reine mère. — Dessin de Émile Bayard.

Dans la soirée le prince nous a renvoyé tous nos fusils et toutes nos carabines, en nous faisant demander une de ces armes ; il voudrait avoir aussi le fauteuil de fer sur lequel il s’est assis pendant son séjour chez nous, plus une couchette, également en fer, et enfin l’Union Jack ou drapeau national qui flotte au-dessus de notre hutte. On voit qu’il attache un certain prix à ses visites, et que l’honneur de le recevoir ne s’obtient pas à titre gratuit. Le chef des pages avait ordre d’assister à la translation des objets ainsi réclamés et de veiller à ce que tout se passât conformément aux volontés royales. Il n’y avait qu’un moyen de repousser ce surcroît d’exigences, c’était de nous mettre en fureur, de protester contre les exactions auxquelles on voulait nous soumettre, et de leur opposer le refus le plus catégorique. — C’est ce que nous fîmes.


XII

L’Ouganda (suite et fin). — Adieux à Mtésa et à sa cour.

3 juin. — Depuis plusieurs jours je voyais une foule d’hommes affluer vers les palais du roi, de la reine et du kamraviona, où ils apportaient des fagots de bois de chauffage. Ce matin j’ai trouvé Sa Majesté qui faisait transférer sous ses yeux, d’une cour dans l’autre, par le régiment du colonel Mkavia, ces fagots dont il voulait savoir le nombre et qu’il ne pouvait compter autrement. Seize cents hommes environ étaient employés à cette besogne, lorsque le roi, qui, ses deux lances en main et son chien à côté de lui, se tenait debout sur un tapis