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S’abandonnant à sa joyeuse humeur, il a préconisé l’heureuse influence que les eaux du lac exercent sur sa santé, le regain de jeunesse et de virilité qu’il semble puiser dans son commerce avec les Néréides du N’yanza.

28 avril. — Pendant que je préparais ce matin un loc Massey, pour démontrer au roi l’utilité de cet ingénieux instrument, il s’est embarqué sans me prendre à bord et aucun des bateaux en retard n’ayant voulu, faute d’ordres, se charger de moi, je suis parti pour la chasse après maints signaux restés sans réponse. Malheureusement le gibier était rare et je n’aurais su comment employer mes loisirs, si je n’avais trouvé asile, d’abord chez une vieille dame fort hospitalière, puis, au retour, chez un officier du roi, — tous deux très-honorés de la visite que le « prince blanc » leur faisait à la tête de son escorte. Le roi, quand nous nous sommes revus, honteux de m’avoir ainsi abandonné, m’a parlé des signaux qu’il m’avait adressés, des officiers qui avaient couru après moi etc. etc. Pour le moment il s’amusait à tirer de l’arc, et à chaque coup bien ajusté, soit qu’il vînt du roi, soit de quel qu’autre compétiteur, l’assistance battait des mains, sautait de joie, se roulait par terre et n’yanzigeait avec enthousiasme.

Vue de la crique ou baie Murchison, sur le lac N’yanza. — Dessin de Riou.

Un bouclier servait de but, planté seulement à une trentaine de pas, et c’est tout au plus si ces maladroits archers parvenaient toujours à l’atteindre. À la fin, se lassant des lenteurs du jeu et pour manifester la supériorité de ses prouesses, le roi fit placer à la file, en face de lui, seize boucliers à peine séparés l’un de l’autre. Une seule balle de sa carabine Whitworth les traversa presque tous par le milieu :

« Vous voyez, disait le roi, brandissant au-dessus de sa tête le mousquet victorieux. À quoi servent désormais l’arc et la lance ? Je n’aurai plus d’autres armes que des fusils. »

Ceux des Vouakungu que vient de nous ramener la fin de la guerre, se sont scandalisés de voir, à côté de leur monarque, un étranger assis plus haut qu’ils ne le sont eux-mêmes. Leurs plaintes réitérées ont fini par prévaloir et Mtésa m’a fait prier de ne plus me servir devant lui de mon trône. Or, ce trône était tout bonnement mon tabouret de fer. Après m’être bien assuré du véritable sens que ces vaillants et susceptibles guerriers attachaient à leurs réclamations, je suis rentré chez moi pour y faire fabriquer immédiatement un « siége d’herbes. » Cet innocent stratagème suffira, j’espère, pour les dérouter.

Bateau des indigènes de l’Ouganda. — N’yanza Victoria.

29 avril. — Hier le dîner m’a fait faute et je me suis encore vu obligé, ce matin, de déjeuner par cœur, nos provisions étant complétement épuisées. Aucun de mes gens ne se souciait d’aller rendre compte de notre situation, attendu qu’il pleut à verse et que Mtésa est enfermé avec ses femmes. L’idée me vint que le signal au moyen duquel je me faisais ouvrir les portes du palais pourrait me rendre ici le même service. J’allai donc tuer un pigeon dans le voisinage de la résidence royale, et, comme je l’avais prévu, le roi me dépêcha aussitôt le chef de ses pages pour s’enquérir de ce que signifiait cette détonation. Le jeune homme, à qui je ne manquai pas de dire la vérité, savoir « que je chassais pour me procurer à déjeuner, attendu la disette où me réduisait l’incurie des cuisiniers de Sa Majesté, » défigura mes paroles, qu’il avait à peine écoutées, et s’en alla rapporter au roi, de ma part, les choses les plus désobligeantes. « Du moment ou je n’étais pas régulièrement pourvu des provisions nécessaires, il ne me convenait plus (me faisait-il dire) d’accepter aucunes des libéralités royales et j’irais dorénavant chercher ma nourriture dans les jungles. » Mtésa, comme on