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quer en détail l’usage des divers objets que je lui avais offerts. » D’après ce que me dit Bombay, le roi comprend à merveille les motifs de mon humble requête. « Il n’eût pas mieux demandé, assurait-il, que de garder sans cesse auprès de lui le Bana (on sait que j’étais désigné sous ce titre) ; mais ses huttes étaient remplies de femmes, ce qui rendait la chose impossible. Si cependant le Bana voulait prendre patience, on lui élèverait, aux environs, une habitation spéciale, honneur qui n’avait été fait à aucun des hôtes précédents. » Puis, changeant de sujet et passant la revue de mes hommes, il s’éprit tellement de leurs petits fez rouges, qu’il m’envoya ses pages pour m’en demander un échantillon. Je leur en remis plusieurs, ce qui le fit se confondre en témoignages de reconnaissance pour mes généreux procédés et consulter Bombay, séance tenante, sur ce qu’il pourrait m’offrir de plus agréable en échange de ce présent. Mon Indou, stylé d’avance, répondit « que le Bana, grand personnage dans son pays, ne recherchait aucun des profits que donne le commerce de l’ivoire et des esclaves ; tout au plus pourrait-on lui faire accepter une lance, un bouclier, un tambour, objets sans valeur en eux-mêmes, qu’il rapporterait chez lui comme un échantillon des manufactures de l’Ouganda et comme un souvenir agréable de sa visite.

— Si c’est la tout ce qu’il désire, a répondu Mtésa, j’espère combler ses vœux, car je lui donnerai les deux lances avec lesquelles j’ai conquis tout le pays, et dont l’une, en cette occasion, perça trois hommes du même coup… Maintenant, poursuivit-il, dois-je croire que le Bana, comme on l’assure, a grande envie de chasser avec moi ? »

Bombay a répliqué affirmativement, non sans exalter mes prouesses cynégétiques et sans insinuer à Sa Majesté que je serais heureux de lui donner quelques leçons.

Le roi, de plus en plus satisfait, a promu N’yamgundu et Maula au grade de centurion « pour lui avoir amené un visiteur tel que moi. » Aussi, dès qu’ils en ont eu le loisir, sont-ils venus me trouver tous les deux pour me raconter leur bonne fortune, prosternés à mes pieds et n’yanzigeant à qui mieux mieux. Ils suppliaient en outre ma Grandeur de leur prêter quelques vaches, qu’ils offriraient au roi pour reconnaître la faveur dont ils étaient l’objet. Je leur répondis « que mes vaches venaient toutes du roi, et qu’il n’était pas dans nos usages, à nous autres hommes blancs, de donner d’une main ce que nous avons reçu de l’autre. Cependant, comme l’honneur de leur avancement rejaillissait en quelque sorte sur moi, je mettais à la disposition de chacun d’eux un bracelet de fil d’archal pour rendre leur salaam digne de la circonstance. »

C’était tout ce qu’ils souhaitaient ; ils se sont grisés tout aussitôt, et nous ont donné une sérénade aux tambours qui a duré toute la journée. Le soir, à ma grande surprise, j’ai reçu du commandant en chef, avec force compliments, une matrone Mganda, destinée, me dit-il. à « porter mon eau. » Il ajoute, par manière de post-scriptum, que si je ne la trouve pas assez jolie, je pourrai choisir parmi une dizaine d’autres de « toutes couleurs, » y comprises des Vouahuma, qui attendent mes ordres dans son palais.

N’ayant pas prévu cette agréable addition au personnel de mon camp, je me suis senti, je l’avoue, dans un certain embarras. Refuser d’emblée eût été trop désobligeant ; aussi gardai-je provisoirement la belle, me promettant de la renvoyer le lendemain matin avec un collier de perles bleues comme fiche de consolation ; mais elle m’a tiré d’inquiétude en s’échappant cette nuit, ce qui n’étonne nullement Bombay, attendu qu’elle provenait sans doute de quelque domaine confisqué par le prince, et n’était pas en peine de trouver un protecteur.

14 mars. — Après toutes les vaines démarches que j’ai faites pour obtenir une résidence plus convenable, je viens enfin d’y réussir, grâce à un judicieux emploi de cette corruption administrative qui fleurit, paraît-il, dans tous les pays, mais que je n’avais pu employer encore sous les yeux et le contrôle de cette cour jalouse. Quinze pintes de rassades mêlées, vingt grosses perles bleues et cinq bracelets de cuivre, envoyés au commandant en chef comme gage d’amitié, ont mis à ma disposition l’influence de ce haut fonctionnaire. Aussi m’a-t-on assigné presque aussitôt un groupe de huttes situées dans un grand jardin de bananiers, sur le penchant d’une colline, et donnant sur la grande route qu’elles dominent. Aucuns visiteurs, à l’exception des ambassadeurs Vouahinda, n’a encore occupé cette résidence tout à fait aristocratique. De là j’ai vue sur le palais ; la musique qu’on y fait arrive à mes oreilles ; je vois entrer et sortir les foules qui affluent de tous côtés vers le séjour royal. Aussi n’ai-je pas retardé d’une minute mon installation, réservant pour moi la meilleure hutte, distribuant les autres à mes trois officiers, et enjoignant à mes hommes de se construire un double rang de baraques, qui formeront une avenue de nos huttes au grand chemin. Reste à bâtir, pour me conformer aux lois somptuaires de l’Ouganda, l’annexe destinée aux réunions d’amis et aux réceptions officielles. Sous ce rapport, cette race de nègres pourrait donner l’exemple aux autres.

17 mars. — Je me suis rendu ce matin chez le kamraviona. Pour s’attester à lui-même son importance, il n’a pas craint de me faire faire antichambre avant de m’admettre dans une cour intérieure ou je l’ai trouvé assis avec quelques « anciens, » tandis que les ménestrels Vonasaga célébraient par leurs chants, en s’accompagnant de leurs petites harpes, et la grandeur du monarque et la venue du noble étranger, ses beaux habits, sa magnificence, etc., etc. Le jeune chef, — beau garçon, d’ailleurs, et qui n’a pas vingt ans, — affecta d’abord de ne pas lever la tête à mon approche ; puis en me priant de m’asseoir, et même en s’informant de ma santé, il semblait vouloir exprimer par son accent une sorte de condescendance hautaine et de lassitude distraite. Cependant cette mauvaise plaisanterie ne se prolongea pas au delà de quelques minutes, et son attitude fut tout autre