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civil de passer devant la porte de ce dernier sans entrer chez lui. Aussi, faisant le tour des jardins extérieurs et des faubourgs de Bandawarogo, je débouchai sur le chemin public, presque en face la résidence de S. M. douairière, ou se trouvaient reproduites, sur une moindre échelle, les dispositions intérieures du Louvre de Mtésa. Un grand espace séparait la demeure de la reine de celle de son kamraviona ou commandant en chef ; les enclos extérieurs et les diverses cours avaient de même, pour palissades, un clayonnage d’herbe à tigre ; les huttes n’étaient ni aussi nombreuses, ni aussi grandes que chez le roi, mais on les avait construites sur le même modèle. Des gardes veillaient aux portes, garnies de grosses cloches d’alarme, et les officiers de service occupaient avec les musiciens les salles de réception. Toutes les autres huttes étaient remplies de femmes. On me fit asseoir, dès mon entrée, dans une hutte servant d’antichambre, mais je n’y restai pas longtemps ; car la reine, prévenue, était prête à me recevoir et, plus affable que son fils, elle me gardait, au lieu d’un accueil d’apparat, un lever de simple distraction. Aussitôt qu’on eut poussé la porte devant moi, je m’avançai vers la « hutte du trône, » chapeau bas, il est vrai, mais à l’ombre de mon parasol toujours ouvert, et je ne m’arrêtai que pour m’asseoir en face de Sa Majesté sur l’espèce de « pouf » tout à fait rustique dont j’avais été gratifié par son fils.

L’auge au pombé. — Manière de se rafraîchir à la cour de l’Ouganda. — Dessin de Émile Bayard.

Arrivée à la pleine maturité de l’âge et de l’embonpoint[1], simplement vêtue de mbugu, assise à terre sur un tapis, le coude nonchalamment appuyé sur un coussin revêtu de la même étoffe, elle avait pour tout ornement un collier d’abrus et un fichu de mbugu roulé autour de la tête. Un miroir à compartiments, fatigué par un fréquent usage, était ouvert à côté d’elle. Devant l’entrée de la hutte, une longue tige de fer, en forme de broche, portant à son extrémité supérieure une coupe remplie de poudre magique, dominait quelques autres talismans du même genre ; à l’intérieur, quatre sorcières mabandwa (exorcistes femelles) dans le costume le plus fantastique, et un grand nombre de femmes se pressaient autour de leur maîtresse. Nous demeurâmes quelque temps à distance l’un de l’autre, échangeant des regards curieux ; puis on renvoya l’assistance féminine et, comme pour varier le tableau, un orchestre fut introduit ainsi qu’une foule de vouakungu appelés à faire leur cour. Je fus invité à m’approcher et à m’asseoir devant la reine, dans l’intérieur de la hutte. Le meilleur pombé de l’Ouganda circula de mains en mains, sablé d’abord par la reine, puis par moi et enfin par les grands officiers, chacun à son tour. La n’yamasoré se mit ensuite à fumer sa pipe et me pria d’en faire autant.

  1. Fat, fair, and forty five, dit le texte anglais, dont nous ne pouvons reproduire l’allitération proverbiale.