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hâtèrent d’aller annoncer mon retour. Je n’attendis pas plus de quelques minutes, pendant lesquelles les musiciens, vêtus de peaux de chèvres à longs poils et dansant à peu près comme les ours de la foire, s’efforcèrent de charmer mes loisirs. Ils jouaient pour la plupart sur des instruments de roseau enjolivés de verroteries, et auxquels pendaient, en manière de pavillons, des peaux de chats pards ; la mesure était battue sur des tambours de forme oblongue.

On m’annonça bientôt que le tout-puissant monarque siégeait sur son trône dans la hutte de cérémonie située au centre de la troisième enceinte. Je m’avançai donc, le chapeau à la main, suivi de ma garde d’honneur, à qui j’avais ordonné d’ouvrir les rangs et derrière laquelle marchaient en bon ordre les porteurs de mon présent. Au lieu d’aller droit à Sa Majesté, comme pour lui serrer la main, je restai à l’extérieur de l’espèce d’enceinte que formaient les vouakungu, accroupis sur les trois côtés d’un carré. Tous étaient vêtus de peaux, la plupart de peaux de vaches ; quelques-uns, en très-petit nombre, avaient des peaux de chats-pards nouées autour de la taille, indice du sang royal qui coulait dans leurs veines. Je fus requis de faire halte à l’endroit où je m’étais placé moi-même, et de m’asseoir par conséquent en plein soleil ; aussi me hâtai-je de mettre mon chapeau et d’ouvrir mon parasol — phénomène qui, par parenthèse, excita l’admiration et l’hilarité universelles — puis je commandai à ma garde de serrer les rangs. Je m’assis enfin pour contempler à mon aise un spectacle si nouveau pour moi. Il avait quelque chose d’éminemment dramatique. Le roi, grand jeune homme de vingt-cinq ans, doué d’une physionomie avenante, taillé dans de belles proportions, ayant disposé avec le soin le plus scrupuleux les plis de sa toge en mbugu tout battant neuf, siégeait sur une couverture rouge recouvrant une plate-forme carrée qu’entourait un clayonnage d’herbe à tigre. Sa chevelure était coupée de fort près, sauf au sommet de la tête, où, de l’occiput au sinciput, elle dessinait un relief pareil à celui du cimier de certains casques, et, si l’on nous permet une comparaison moins noble, à celui d’une crête de coq. Un large collier plat, — une cravate, si l’on veut, — de petites perles agencées avec goût, un bracelet pareil, des anneaux alternés de bronze et de cuivre à chaque doigt et à chaque orteil, au-dessus des chevilles et jusqu’à la moitié du mollet des bas ou guêtres en verroteries de la plus belle qualité, lui composaient un costume à la fois léger, correct et véritablement élégant. Il avait pour mouchoir une « écorce » soigneusement pliée, et tenait à la main une écharpe de soie brodée d’or derrière laquelle il abritait à chaque instant son large sourire, ou dont il se servait pour essuyer ses lèvres après avoir bu le vin de bananes que lui versaient à longs traits, dans de petites gourdes taillées en coupes, les dames de son entourage, à la fois ses sœurs et ses femmes. Placés près de lui, un chien blanc, une lance, un bouclier, une femme, représentaient le blason national, le symbole héraldique de l’Ouganda. Il y avait aussi sur la même plate-forme, à la droite du roi, un groupe d’officiers d’état-major avec lesquels il semblait bavarder volontiers ; de l’autre, une bande de ces wichwési, ou sorcières, toujours attachées aux cours de ces contrées.

Un noble de l’Ouganda.

Au bout d’un certain temps, je fus prié d’entrer dans l’espèce de carré formé par l’assistance, et au centre duquel se trouvaient, sur un tapis de peaux de léopards, une énorme timbale de cuivre garnie de clochettes en bronze disposées sur des arceaux de fil d’archal, plus deux tambours de moindres dimensions recouverts de coquilles cauries et de verroteries artistement travaillées. Je brûlais d’engager l’entretien, mais d abord la langue du pays m’était inconnue, pas un de mes voisins n’eût osé parler, et pas un ne se fut hasardé à lever les yeux, de peur qu’on ne l’accusât de lorgner les femmes. Aussi demeurâmes nous, Mtésa et moi, pendant plus d’une heure nous contemplant l’un l’autre, sans échanger une parole ; réduit pour ma part à un silence complet, je l’entendais discourir avec ses voisins sur la nouveauté de mon appareil, l’uniforme de ma garde etc. On vint même me demander en son nom, pendant qu’il se livrait à ces commentaires, tantôt d’ôter mon chapeau, tantôt de refermer et d’ouvrir mon parasol, et mes gardes reçurent ordre de se retourner pour qu’on pût admirer leurs manteaux rouges, l’Ouganda n’ayant jamais rien vu de pareil.

Enfin, comme le jour baissait, Sa Majesté m’expédia Maula, qui vint s’informer « si j’avais vu le monarque. » Je répondis que je prenais ce plaisir depuis une heure entière, et dès que ces paroles lui eurent été transmises, il se leva, la lance à la main, pour se retirer avec son chien, qu’il tenait en lesse, dans les huttes de la quatrième enceinte. Le jour étant consacré à un lever de pure étiquette, aucune affaire ne devait être traitée entre nous. La démarche du roi, au moment où il prenait ainsi congé de nous sans la moindre cérémonie, devait, paraît-il, nous sembler majestueuse. C’est une allure traditionnelle de sa race, qui, au dire des flatteurs, rappelle le pas du lion, son premier ancêtre. Je dois convenir cependant que cette manière de jeter la jambe, à