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perdu (19) avant de pouvoir traverser le désert et de nous rencontrer, à la frontière de l’Ousui, avec N’yamanira, le fonctionnaire auquel Suwarora délègue ses pouvoirs dans cette partie du district.


VIII


L’Ousui.

À peine sommes-nous sur ce nouveau terrain que les quatre messagers, porteurs du fameux kaquenzingiriri, renonçant tout à coup à leur courtoisie d’emprunt, exigent péremptoirement leur salaire avant de faire un pas de plus. Ma promesse de les récompenser richement lorsqu’ils nous auront conduits chez Suwarora, les laisse parfaitement insensibles. Ils veulent immédiatement ce qui leur est dû et fixent à quatre bracelets le prix de leurs peines et démarches. Raisonnements et menaces, rien ne triomphe de ces prétentions exorbitantes. « Ils peuvent, disent-ils, nous retenir ici tout un mois ; ils peuvent nous ménager à chaque station de nouvelles avanies. » Dans le pays où nous sommes, toute trahison est redoutable. Il faut se résoudre à payer ce qu’ils demandent. Après eux, j’ai affaire à N’yamamra qui joint à ses fonctions politiques la profession de médecin et de sorcier. Sur la tête il porte, fixée au front, l’extrémité d’un coquillage, symbole de sa charge, tandis qu’une petite corne de brebis, posée coquettement sur sa tempe, indique sa mission surnaturelle. Il a pour église (uganga) un arbre aux branches duquel est attachée une corne de buffle remplie de poudre magique ; un sabot de zèbre est suspendu par une ficelle au-dessus d’un vase d’eau enfoncé dans la terre. Je me permets quelques railleries au sujet de ce temple si élémentaire, et N’yamanira, piqué au jeu, me somme de montrer mon pouvoir magique en faisant jaillir du sol une source permanente. Je m’engage à le faire aussitôt qu’il m’aura donné l’exemple, et cette réponse, qui lui coupe la parole, paraît égayer mes gens.

Palais du sultan Lumérézi.

Le 22 au soir, invités à marcher en avant, mes guides s’y refusent, malgré l’engagement formel qu’ils avaient pris à cet égard en touchant leur salaire. Il faut, à ce qu’ils assurent, que Suwarora soit préalablement averti de notre arrivée. Deux d’entre eux resteront avec nous, un troisième se rendra auprès du chef. Presque aussitôt après le départ de ce messager survient un officieux nommé Makinga. Il nous presse d’avancer au nom du docteur K’yengo, son frère adoptif. C’est grâce à ce dernier que Suwarora, d’abord très-inquiet à notre sujet, s’est déterminé à nous accueillir. Je reconnais ce Makinga pour un de mes anciens porteurs qui s’était proposé, à Sorombo, pour remplir avec Baraka la mission dont ce dernier n’avait définitivement pas voulu se charger auprès de Suwarora ; sur notre refus, il est parti seul pour aller prévenir le docteur K’yengo, et c’est bien évidemment à l’intervention de ce dernier que sont dues les démarches faites auprès de moi par le chef de l’Ousui. Makinga, du reste, ne se bornait pas à ces communications et, quand je voulus partir dans la matinée du 23, il prétendit, lui aussi, me soumettre à la taxe. Mes protestations énergiques et mon recours au chef du district me débarrassèrent momentanément de lui.

Spécimen des tembé, ou maisons arabes, à Kaseh.

Le 24, après de longs circuits dans une vaste forêt nous débouchâmes dans une des portions cultivées de l’Ousui, composée de collines arrondies que recouvrent des broussailles, partout où la main de l’homme n’a pas transformé le terrain. Les petits villages à huttes gazonnées n’y sont point entourés d’une boma, mais simplement cachés dans de vastes plantations de bananiers. On y trouve beaucoup de bétail élevé par les Vouahuma qui se refusent à nous vendre leur lait, donnant pour raison que nous mangeons de la volaille et une sorte de fève appelée maharagué.

25 oct. Chez Vikora. — On se rappelle peut-être Sirboko, notre hôte de Mininga, et le meurtre commis par lui sur la personne d’un des chefs indigènes. Ce dernier était précisément le père de Vikora qui, en souvenir de