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perle-anneau d’Allemagne), conduirait Baraka, convenablement déguisé, jusque chez le grand chef de l’Ousui, auquel il demanderait de ma part quatre-vingts hommes. De mon côté cependant, je retournerais dans l’Ounyanyembé pour voir ce que je pourrais trouver de recrues parmi les gens attachés naguère à l’établissement de feu Musa. Sans nouvelle perte de temps, ce plan reçut son exécution, et le 20 nous étions de retour à Mihambo.

Grant, que je retrouvai le lendemain, avait réuni quelques hommes du Sorombo et se préparait à marcher sur mes traces. Je lui fis part de ma mésaventure et de mes anxiétés qui étaient fort grandes. Je ne savais dans le fait à quoi me décider. Toute autre ressource venant à me faire défaut, je songeais à construire un radeau sur la pointe méridionale du N’yanza, et à tâcher de remonter ainsi jusqu’au Nil.

Mon agitation d’esprit ne me laissa pas jouir longtemps du plaisir de causer avec Grant, et me faisant suivre de Bombay, je continuai ma route vers Kaseh.

Naturel de l’Ouzinza. — Dessin de Émile Bayard.

Le 2 juillet j’arrivai chez Abdalla, le fils aîné de Musa, que je trouvai transformé du tout au tout. Au lieu de l’adolescent que j’avais laissé, s’adonnant à l’ivrognerie et dépourvu de toute élégance extérieure, je voyais une espèce de dandy qui passait des journées entières accroupi comme feu son père sur des monceaux de coussins ; mais il inspirait moins de respect à ses subalternes, et la maison n’était plus montée sur le même pied. Le sheik Saïd, devenu son principal commis, ne le quittait guère, et les Hottentots se dédommageaient chez lui des privations du voyage, mais à mes dépens, bien entendu.

Appréciant l’embarras où j’étais, Abdalla promit de me procurer des hommes ; il prétendait même, à l’instar de son père, vouloir s’associer à l’expédition ; mais il fallait attendre l’arrivée d’une grande caravane qu’on lui retenait dans l’Ougogo.

Manua Séra, pour le moment enfermé dans une boma de Kigué, paraissait être dans une situation des plus critiques, les Arabes ayant formé alliance avec tous les chefs des districts environnants, y compris Kitambi, son ancien confédéré. Cerné de toutes parts et peu à peu isolé des sources qui pouvaient lui fournir de l’eau, il devait infailliblement succomber.

Ces nouvelles, les mille désappointements qu’elles me causèrent et les fréquentes indispositions de mes gens ralentissaient si bien notre marche, que je ne pus rejoindre Grant avant le 11 du même mois. Sa santé s’était améliorée, car il avait pu prendre part à un grand bal donné par Ukulima et danser en personne avec la première femme de ce prince, la première par le rang et surtout par l’âge. Nous nous livrâmes ensemble à la chasse aux pintades, tandis qu’on cherchait un guide indigène capable de mener mes trois messagers dans l’Ousui à travers les jungles et par un chemin plus court que la piste ordinaire. Il nous revint sur ces entrefaites que Suwarora s’était fâché en apprenant que de méchants bruits répandus sur son compte m’avaient empêché de pousser jusque chez lui. C’était là une excellente nouvelle dont je ne manquai pas de faire part à Bombay et qui stimula, effectivement, sa bonne volonté. Il était désormais tout disposé à risquer l’entreprise devant laquelle avait reculé Baraka.

Traduit par E. D. Forgues.

(La suite à la prochaine livraison.)