Page:Le Tour du monde - 09.djvu/300

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


VI


L’Ouzinza.

Le pays où nous entrâmes ainsi le 10 juin est gouverné par deux chefs vouahuma, de race étrangère, et probablement abyssinienne. On en trouve des échantillons dispersés dans tout l’Ounyamuézi ; mais ils passent très-rarement sous les yeux du voyageur, parce que, voués exclusivement à l’élève des troupeaux, ils éloignent le plus possible des endroits cultivés leurs huttes nomades. Quant aux Vouazinza, ceux du sud ressemblent trop aux Vouanyamuézi pour mériter une mention particulière. Dans le nord, où le pays est plus montagneux, les habitants sont plus énergiques et plus alertes. Ils vivent les uns les autres dans des villages de huttes gazonnées que les gens du sud entourent de boma ou de maisons fortes, tandis que ceux du nord en laissent l’accès libre à tout venant.

Village du roi Ukulima. — Dessin de A. de Bar.

Le 12 juin, nous poussons jusqu’à la frontière occidentale de l’Oukhanga, portion orientale de l’Ouzinza. Nous dominons de là le petit district de Sorombo, régi par un chef nommé Makaka, chez lequel les Arabes ne passent jamais, vu la mauvaise réputation qu’il s’est acquise par ses rapines. Bien que son palais se trouvât sur ma route, je ne demandais pas mieux que de l’éviter, et j’allai dans ce but jusqu’à promettre au « Pourceau » que j’ajouterais dix colliers par jour à ses gages ordinaires si, poussant à dix milles notre marche quotidienne et tournant ce district par sa limite orientale, il me faisait éviter la rencontre de tous les chefs du pays. Mais le drôle, en vertu de calculs dont je n’ai pas le secret, se plut au contraire à nous égarer et nous conduisit, à Kagué, chez un sous-chef du Sorombo qui, après m’avoir brutalement exploité pour son propre compte, me transmit, de la part de Makaka, l’invitation la plus pressante et la plus impérieuse. « Il avait droit à ma visite comme principal chef du district ; il l’attendait avec impatience, n’ayant jamais vu d’homme blanc, et enfin si je faisais droit à sa requête il me fournirait des guides pour me conduire chez Suwarora, le roi, ou mkama, de toute la contrée. Ce langage ne m’était pas nouveau, et j’en appréciais toute la portée ; aussi, en me refusant au rendez-vous, proposai-je d’envoyer par Baraka le don gratuit qui devait cimenter notre amitié. Cette offre n’eut aucun succès. « Makaka, sans nul doute, accepterait le présent qui lui était dû ; mais il lui importait avant tout de voir le Mzungu. » Mes gens semblaient touchés de ces flatteuses avances, et comme pas un d’eux ne voulait bouger si j’essayais de m’y soustraire, il fallut bien me résigner à me détourner de dix milles pour faire la démarche qui m’était ainsi imposée. Nous fûmes bien payés de nos peines, lorsqu’à notre arrivée chez Makaka on nous assigna pour résidence une espèce de cour d’étable, sans un arbre ou un toit quelconque pour nous