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jour, je me mis à leur poursuite ; mais ces prudents animaux avaient détalé de meilleure heure encore, m’abandonnant la moitié de leur proie.

Les forgerons. — Ounyamouézi. — Dessin de Émile Bayard.

Du 25 février au 13 mars. — Rentrés à Kaseh, où aucune besogne spéciale ne nous occupe, je passe mon temps à prendre des informations sur les contrées lointaines où je vais m’engager, à augmenter mes collections zoologiques, surtout à de longs calculs d’astronomie. Tout ceci nous mène au 13 mars, jour néfaste où la ville de Kaseh se trouve tout à coup plongée dans le deuil et dans les larmes. Quelques esclaves arrivés de nuit — après avoir cheminé secrètement à travers les forêts où une mort certaine les attendait s’ils eussent été découverts — nous apprennent que Snay, Jafu et cinq autres Arabes ont été tués, sans compter un grand nombre de leurs esclaves. L’expédition avait débuté sous les meilleurs auspices. Hori-Hori, le chef de Khoko, était tombé dans le premier combat ; une grande partie de ses sujets avaient été réduits en esclavage, un bétail nombreux enlevé de vive force, et l’ivoire enfin, le précieux ivoire était rentré dans les mains de ses légitimes propriétaires. Poursuivant leurs avantages, les vainqueurs avaient pris Ousékhé, qui s’était racheté moyennant une forte rançon. Mais alors, apprenant qu’une caravane entière, avec une cargaison de 5 000 dollars, venait d’être coupée par les gens de Mzanza[1], ils eurent la malheureuse idée de diviser leur petite armée en trois détachements, dont l’un devait ramener à Kaseh le butin déjà fait, l’autre former une réserve à Mdaburu, sur la limite orientale du désert, et le troisième, commandé par Snay et Jafu, marcher à l’attaque de Mzanza. Les deux chefs arabes firent d’abord merveille ; mais enivrés par la facilité même de leurs succès, ils oublièrent bientôt les précautions les plus indispensables. Un corps de Vouahumba était accouru au secours des Vouagogo. Ils tombèrent de concert et à l’improviste sur les envahisseurs jusque-là victorieux, qui furent au premier choc dispersés de tous côtés. Ceux qui avaient de bonnes jambes purent échapper à la mort ; les autres tombèrent sans exception sous la lance des indigènes. Personne ne put nous dire comment Jafu avait péri ; quant à Snay, après avoir essayé de fuir, il appela un de ses esclaves, et lui remettant son fusil : « Je suis trop vieux, lui dit-il, pour courir aussi vite que vous ; prenez cette arme que je vous donne à titre de souvenir ; je vais me coucher ici pour attendre ce que la Providence décidera de moi. » On ne l’a plus revu depuis lors. Mais ce n’est pas tout : les esclaves porteurs de ces sinistres nouvelles ont rencontré à Kigué, dans tout le désordre d’une fuite précipitée, le premier détachement, celui qui ramenait le butin de Khoko. Manua Séra lui avait dressé une embuscade, et se logeant sur sa route avec trois ou quatre

  1. Petit district à dix milles au nord d’Ousékhé.