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Batteurs de sorgho, dans l’Ounyamouézi. — Dessin de Émile Bayard.


LES SOURCES DU NIL, JOURNAL D’UN VOYAGE DE DÉCOUVERTES,

PAR LE CAPITAINE SPEKE[1].
1860-1863. — TRADUCTION INÉDITE. — DESSINS EXÉCUTÉS D’APRÈS LES ILLUSTRATIONS ORIGINALES DE L’ÉDITION ANGLAISE.


V


L’Ounyamouézi.

24 janvier. Kaseh. — L’Ou-n-ya-mouézi, pays de la Lune, doit avoir été un des royaumes les plus considérables de l’Afrique ; aujourd’hui il est divisé en petits États. Les instincts commerciaux des Vouanyamouézi, qui les poussent vers la côte, les ont mis de longue date en rapport avec les négociants indous ; de là ces vagues notions géographiques qui, dès les premières années de l’ère chrétienne, signalaient au centre de l’Afrique une chaîne de montagnes appelées Montagnes de la Lune.

Musa, l’ancienne connaissance du capitaine Burton, est venu à notre rencontre ; il nous comble de prévenances et de promesses. Sur le point de partir lui-même pour le Karagué, il a différé son voyage et veut faire route avec nous. « Depuis que nous ne l’avons vu, il a subi, nous raconte-t-il, une dure captivité. Jaloux des préférences que lui témoignait Manua Séra les autres Arabes de Kaseh, l’accusant de fournir de la poudre à ce prince, l’ont tenu longtemps chargé de chaînes. Il n’en a pas moins fidèlement veillé sur les marchandises que j’avais fait entreposer chez lui, mais les énormes dépenses de transport y ont déjà fait une brèche considérable. » À peine installé, j’ai reçu la visite du sheik Snay et de tous les collègues des trafiquants arabes réunis en une espèce de conclave. Ils énumèrent avec complaisance quatre cents esclaves armés de fusils qu’ils ont déjà mis sur pied pour donner chasse à Manua Séra, le détrousseur de caravanes, et restent sourds à mes paroles de paix. Vainement je leur raconte les entretiens que j’ai eus avec Manua Séra et Maula (dont le fils, par parenthèse, est secrètement installé au fond du tembé de Musa), Snay ne veut entendre à rien ; il sait mieux que personne comment il faut s’y prendre avec ces « sauvages » et brûle de se trouver en face d’eux. Ses soldats se préparent à la guerre par un grand « repas de bœuf » auquel il les a conviés selon l’usage, et il me fait ses adieux en toute hâte, vu l’imminence de son départ. Je lui remets, pour le récompenser de ses anciens services, une des montres d’or que je dois à la libéralité de l’administration anglo-indoue. Est-il vrai que lui et ses collègues aient retardé, pour me faire accueil, leur entrée en campagne ? Je suis tenté de le croire comme ils me l’ont dit, car, après m’avoir envoyé en présent un certain nombre de vaches, de chèvres et de sacs de riz, ils se mettent en route le soir même de mon arrivée. Quand ils en auront fini avec Manua Séra, ils doivent aller dans l’Ougogo secourir les trafiquants dont les caravanes y sont retenues et qu’on veut soumettre à des taxes exorbitantes. D’après l’avis de Musa, j’expédie

  1. Suite. — Voy. page 273.