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qui constituaient un hôpital ambulant, sont dès lors occupés (et ils le furent toujours) par quelques-uns de nos Hottentots invalides, car la moindre indisposition mettait ces gaillards-là sur le flanc.

Voici maintenant la mission de chacun : le sheik Saïd, assisté de Bombay, distribue aux hommes leur ration quotidienne sous forme d’étoffes, savoir : un quart de charge, c’est-à-dire environ quinze livres pesant, réparti entre nos cent soixante-cinq porteurs ; les Hottentots préparent nos repas et les leurs, à moins que, succombant à la fatigue, ils ne gissent haletants sur le sol ; les Béloutchis, qui ont pour mission apparente de garder le camp, préfèrent bavarder et polir leurs armes. Quelques hommes ont ordre de mener paître au-dehors nos mules, nos ânes et nos chèvres ; le reste est chargé d’empaqueter la vaisselle, de piquer nos tentes, de couper les branches nécessaires à la construction des huttes, et de la palissade qui devrait en bonne police entourer le camp. Il est rare, toutefois, qu’on prenne cette dernière précaution. À l’issue du repas et lorsque la nuit commence, l’éternelle danse s’organise ; on entend de tous côtés les mains qui frappent, les grelots qui tintent, roulés autour des jambes, le tout accompagné de ces insignifiants refrains, répétés à satiété, que les nègres acceptent en guise de chansons. De chansons proprement dites, ils n’en ont point, et malgré leur exquis sentiment du rhythme, ils paraissent jusqu’ici incapables d’aucune composition musicale.

Reste à parler de nous-mêmes et de nos inférieurs immédiats. Commençons par ces derniers : j’ai pour valet de chambre Rahan, petit nègre couleur de poivre, qui, lors de la prise de Rangoon, servait à bord d’un vaisseau de guerre anglais. Baraka, élevé à la même école, et qui de plus a combattu dans le Moultan, remplit les mêmes fonctions auprès du capitaine Grant. Tous deux parlent l’indoustani ; mais le second, qui a passé presque toute sa vie avec des Anglais, est le nègre le plus élégant et le plus intelligent qu’il m’ait été donné de rencontrer. Le colonel Rigby, qui l’employait à découvrir les marchands d’esclaves, s’est privé à regret de ses inappréciables services, « ne sachant, disait-il, comment il pourrait le remplacer. » Outre le soin qu’ils prennent de nos tentes et de notre mobilier personnel, Baraka, je crois l’avoir dit, commande en chef nos Vouanguana, dont une compagnie est sous les ordres du capitaine Rahan. Dresser la carte du pays est ma principale occupation. Je passe les ennuyeux détails de ce labeur topographique, où j’employais tour à tour la montre, le compas, le thermomètre, le sextant et l’azimut. Quelques esquisses, le journal à tenir, l’accroissement de nos collections géologiques et zoologiques, occupaient le reste de mon temps. Les collections botaniques et le registre du thermomètre concernaient le capitaine Grant, à qui revenaient aussi les observations hygrométriques et le maniement des appareils de photographie, que je fus bientôt obligé de supprimer, l’ardeur du climat rendant ce travail par trop pénible et par trop malsain. Une fois la marche finie, le reste du jour se distribuait ainsi : après le déjeuner, une pipe qui nous préparait à la besogne ultérieure, excursions dans la campagne ou dans les villages, perquisitions, enquêtes scientifiques ; — le dîner aussitôt après le coucher du soleil, — le thé, la pipe avant de se mettre au lit.

Saïd-Majid, sultan de Zanzibar (voy. p. 274). — Dessin de Émile Bayard.

4 octobre. Ikamburu. — Le chef ou phanzé de ce village, qui appartient au district de Nzasa, porte le nom sonore de Kombé-la-Simba, ce qui veut dire Griffe-de-Lion. Immédiatement après notre arrivée, il nous envoie un panier de riz, lequel vaut un dollar. Je riposte par quatre mètres de cotonnade américaine. Le « sultan, » devinant bien le sens de cette liberalité, me renvoie mon cadeau, inférieur, dit-il, à ce qu’il a reçu lors de notre premier passage ; « sa famille ne croirait jamais qu’il ait pu s’en contenter et l’accuserait d’avoir détourné à son profit une partie du droit perçu. » Je repousse de mon mieux ses exigences, mais notre petit sheik, facilement intimidé, plaide la cause de l’ennemi ; le jémadar insiste de son côté ; tous deux portent le hongo à une pièce de dabouani[1] (2 mètres 25 cent.), une de sahari[2], plus huit mètres de merkani

  1. Cotonnade de Mascate à petits carreaux bleus et blancs, traversée dans le quart de sa largeur par une bande lisérée de blanc et de jaune.
  2. Le sahari ou ridia, autre cotonnade de Mascate, très-supérieure au dabouani ; elle porte aux deux bouts une largeur plus