Page:Le Tour du monde - 09.djvu/271

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

agents inférieurs, se trouvent des indigènes ; c’est une vraie tour de Babel ; un zeibek, encore hérissé de poignards, ouvre une portière, porte un paquet, transmet en langue turque quelque recommandation, tandis que le chef du train s’adresse en anglais à ses subordonnés pour les encourager ou les gourmander. On ferme les voitures à clef, car les gens du pays ne sont point façonnés aux précautions qu’exige l’emploi de la vapeur.

Nous marchons avec une lenteur extrême et mettons quatre heures à franchir un espace de quinze lieues. La vallée que l’on suit, d’abord couverte de figuiers, devient bientôt sauvage ; elle est bordée de rochers nus. Au sommet du plus abrupt d’entre eux, se dressent les ruines d’une ancienne forteresse qui servait naguère de retraite au brigand Yani-Katerdji.

La voie ferrée passe au-dessus du Caistre, un peu avant la station d’Aya-Slouk. Les atterrissements qui ont obstrué le cours de la rivière et comblé l’ancien port d’Éphèse, ont transformé la plage en un marais d’où s’exhalent des émanations pernicieuses. La malaria règne sur cette contrée ; l’étranger fera bien de ne point y passer la nuit.

Aussi la ville musulmane d’Aya-Slouk, qui avait pris la place d’Éphèse, a-t-elle été abandonnée à son tour. On en voit les débris en face de la station : un grand aqueduc, un château du moyen âge au sommet du mont Yalessus ; à mi-côte, une mosquée construite à la fin du seizième siècle, et qui fut un magnifique édifice ; on admire à l’intérieur quatre colonnes de granit provenant sans doute du temple de Diane ; enfin d’autres mosquées, des bains, des imarets, dont les coupoles se montrent çà et là au milieu des arbres et des champs, mêlées à quelques cabanes ; tel est Aya-Slouk aujourd’hui.

À un kilomètre de là, un mamelon isolé se dresse au milieu de la vallée. C’est le mont Prion, qu’il faut gravir pour dominer les ruines de la vieille Éphèse.

Ayaslouk : Ruines du château et des aqueducs.

Que de souvenirs nous pouvions évoquer quand nous promenions nos regards des montagnes à la mer, sur cette vaste étendue couverte des débris de l’une des cités les plus célèbres, les plus florissantes, les plus populeuses de l’antiquité !

En traversant l’Anatolie, j’ai trouvé à chaque pas l’occasion d’envisager quelque grande époque de l’histoire. Ici, dans la métropole et la plus ancienne des villes de l’Ionie, je pourrais rendre la vie à ces enfants de l’Attique transplantés sur la côte d’Asie, guerriers, philosophes, poëtes, artistes, commerçants habiles, dont les brillantes qualités sont encore l’objet de notre admiration.

Mais les fatigues du voyage ont sans doute gagné le lecteur ; qu’il me suffise de faire appel à des souvenirs qui n’ont pu sortir d’aucune mémoire. Quant aux traces qu’Éphèse a laissées sur le sol, elles sont, grâce aux révolutions et aux tremblements de terre, bien effacées et bien confuses aujourd’hui.

Depuis le jour où les Amazones, ces fabuleuses héroïnes, en jetèrent les premiers fondements, la ville a été sept fois détruite, reconstruite sept fois ; son emplacement a varié sans cesse.

Sur la crête du mont Corissus, qui borde la plaine au midi, on voit encore une portion importante des murailles construites par Lysimaque à la fin du troisième siècle avant notre ère. Une tour, qui faisait sans doute partie de cette enceinte, est connue depuis longtemps sous le nom de prison de saint Paul ; cette désignation provient de quelque tradition pieuse, mais aucun document historique ne la justifie. Voilà, avec les jetées du port, aujourd’hui perdues dans les marais, tout ce qui reste à Éphèse de l’époque grecque.

Le temple de Diane, cette merveille que l’antiquité admirait, a été détruit deux fois. Le premier temple, dû