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Renonçant à visiter Kioutaya, chef-lieu du sandjak de Kermian, mais ou rien d’intéressant ne semble devoir s’offrir à nous, nous prenons, en quittant Taouchanly, la direction des ruines d’Aizani.

La vallée de Taouchanly[1] est fertile et paraît mieux cultivée qu’aucune de celles que nous avons traversées jusqu’ici. Après deux heures de marche, nous passons le Rhyndacus sur un pont de bois et côtoyons une suite de collines formées de monceaux de cendres grises et blanches auxquelles succèdent des épanchements volcaniques taillés à pic en forme de hautes falaises dont une rivière baigne le pied.

Là est le village d’Ak-Scheer, nous y déjeunons auprès d’une fontaine.

À Doudesch, petit village où nous faisons halte pour chercher un guide, la population nous entoure avec méfiance, et les zaptiés parviennent difficilement à déterminer l’un des habitants à nous accompagner. Enfin, un homme se laisse séduire par nos promesses, grand gaillard dont les traits accentués rappellent le type kabyle. Il s’arme d’un long fusil et part devant nous d’un pas allègre, dont la rapidité met en défaut l’allure de nos chevaux de charge ; nous avons eu déjà les jours précédents l’occasion de remarquer combien ces montagnards sont bons marcheurs.

Nous traversons des collines calcaires sur le penchant desquelles des paysans s’occupent à exploiter les bois. Leurs chariots, composés parfois d’un simple tronc d’arbre creusé, sont portés sur deux roues massives, sortes de plateaux cylindriques détachés de quelque gros chêne qu’on a scié par tranches près de sa base. Ces roues, mal ajustées autour d’un essieu de bois, produisent, en tournant, un bruit étrange semblable aux gémissements de quelque créature en détresse, et que l’on entend de fort loin.

Aizani : Ruines du théâtre et du stade.

À Gueuk-Keuï, hameau situé dans un vallon sauvage, nous voyons un bas-relief antique représentant un lion et servant de façade à une fontaine ; quelques autres marbres du même genre gisent dans les champs. Ils proviennent, sans doute, du théâtre d’Aizani où l’on en trouve de semblables.

Nous montons, nous descendons, Aizani ne paraît pas. Le soleil se couche dans un ciel de feu, et bientôt les étoiles seules nous éclairent ; mais leur scintillement est si vif, à travers l’atmosphère limpide, qu’en nous serrant à la file derrière notre guide, nous cheminons assez sûrement. Nous avons heureusement dépassé la région des forêts, nous côtoyons la vallée du Rhyndacus sur un terrain de couleur blanchâtre qui reflète les faibles clartés de la nuit. À huit heures, la lune se montre à l’horizon, et ses premiers rayons font apparaître, à peu de distance devant nous, la colonnade du temple de Jupiter et le pont de marbre du Rhyndacus. Nous traversons les ruines d’Aizani pour pénétrer dans le petit village de Tchavdir-Hissar. Ce n’est pas sans peine que les zaptiés découvrent le Mouktar, car, à la nuit tombante, en Turquie, chacun est enfermé chez soi. Vers neuf heures cependant, nous sommes introduits dans un konak pauvre, mais qui ne manque pas d’originalité ; nous y prenons une fort modeste collation et nous nous y accommodons pour la nuit.


A. de Moustier.

(La fin à la prochaine livraison.)



  1. Mot qui signifie plaine du lièvre  ; ces animaux y sont communs en effet.