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gements pris par lui, lors de la conclusion du traité de Paris, le gouvernement ottoman n’a pas encore levé cette interdiction ; cependant un certain nombre d’étrangers savent l’éluder depuis longtemps en empruntant, pour acquérir des terres, le nom de quelqu’un des sujets du sultan ; et l’on n’a pas d’exemple que ces propriétaires supposés aient abusé de cette situation.

La prospérité de la province de Brousse repose avant tout sur l’industrie de la soie. Sauf quelques rares exceptions, les vers à soie sont élevés par petits lots chez les paysans. La plupart des filatures appartiennent à des Européens, Français, Allemands, Italiens, Suisses, et sont situées dans l’intérieur de la ville où elles occupent cinq mille ouvriers des deux sexes, surtout des femmes. Quinze cents ouvriers sont employés dans d’autres parties du district ; leur salaire est de six à huit piastres en été et de quatre à cinq en hiver. La production totale peut être évaluée à quinze ou vingt millions de francs.

Quant au tissage, qui fournit ces étoffes légères connues dans le commerce sous le nom de soie de Brousse, il a perdu de son importance et n’occupe plus qu’une centaine de métiers. En somme, l’industrie de la soie est loin d’être en progrès dans ce pays.

Le bazar de Brousse est assez bien approvisionné. En dehors du bazar, que l’on ferme au crépuscule, je vis les étalages extérieurs des marchands de légumes rester garnis toute la nuit sans que personne crût nécessaire de les garder, ce qui me parut faire singulièrement honneur à la bonne foi publique. On ne connaît guère en Turquie les filous ni les escrocs ; mais, en revanche, par un trait de ressemblance entre ce peuple et les hommes des âges guerriers, quand la rapine prend les apparences de la conquête, elle lui inspire moins d’horreur, et, s’il se commet peu de vols dans les villes, les exactions violentes et le brigandage en rase campagne n’y sont pas choses inconnues.

Brousse emprunte un certain éclat au voisinage de l’Olympe. C’est un grand nom que celui-là ; en lui semblent se résumer toutes les croyances religieuses de peuples nombreux et célèbres.

Murailles d’Ouloubad (ancienne Lupadium) (voy. p. 252).

Les Grecs avaient placé le séjour des dieux sur le plus élevé des sommets qui, aux limites septentrionales de leur patrie, leur apparaissait à demi perdu dans les espaces célestes. L’Olympe de Thessalie fut la première des montagnes sacrées. Mais les colons qui transportaient leurs pénates sur des plages lointaines, cherchant des yeux les hauteurs vers lesquelles devait monter la prière, arrêtaient leurs regards sur la cime la plus apparente ; pour eux encore c’était l’Olympe ; et ainsi, dans l’antiquité, on a donné ce nom à près de quatorze montagnes. L’une d’elles, l’Olympe de Galatie, a été témoin de la victoire remportée sur les Gaulois par le consul Manlius. Mais, après l’Olympe de Thessalie, l’Olympe de Bithynie ou de Mysie (on lui donne indifféremment ces deux noms), est resté le plus célèbre de tous. Nous lui avons consacré la journée du 3 octobre.

Ceux qui entreprennent cette ascension couchent le plus souvent à mi-côte, sous un abri improvisé ou sous la tente de l’un des pasteurs nomades qui conduisent en été leurs troupeaux sur les hauts plateaux. On peut cependant, avec de bons chevaux et de l’activité, l’accomplir en un jour ; elle ne présente aucune difficulté sérieuse.

Je n’ai pas lu sans étonnement dans la relation de Sestini qui, ]’un des premiers, en 1779, a donné une description un peu détaillée de cette montagne, le passage suivant : « À notre retour du mont Olympe, les habitants de Brousse se persuadaient difficilement que nous eussions pu aller jusqu’au sommet ; aussi jamais aucun d’eux n’a-t-il eu la curiosité de monter à plus d’un mille. »

Partis de Brousse à six heures et demie du matin, M. de Vernouillet et moi, accompagnés seulement d’un zaptié et d’un surudji, nous avons passé près du kiosque du sultan, au-dessus du grand Champ-des-Morts, et contourné les flancs de la montagne du côté de l’ouest. Sa base est couverte de magnifiques châtaigniers auxquels succèdent des taillis de hêtres. La vue sur la ville et sur la vallée, jusqu’au golfe de Moudania, est admirable.

Après une heure et demie de marche, on se dirige vers l’est, il faut gravir un sentier escarpé que des quartiers de roches obstruent à chaque instant ; à droite s’ouvre