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Brousse : Pont sur le torrent dit Gueuk-Sou (voy. p. 246).



VOYAGE DE CONSTANTINOPLE À ÉPHÈSE, PAR L’INTÉRIEUR DE L’ASIE MINEURE, BITHYNIE, PHRYGIE, LYDIE, IONIE,

PAR M. LE COMTE A. DE MOUSTIER[1].
1862. — TEXTE ET DESSINS INÉDITS.



V


De Nicée à Brousse, par Yéni-Scheher. — Histoire de Brousse. — Monuments.

En quittant Nicée, nous longeons quelque temps la rive orientale du lac, puis, arrivés au pied des montagnes qui ferment la vallée du côté du midi, nous gravissons une pente abrupte par un sentier taillé dans le rocher ; nous regardons plus d’une fois en arrière pour jouir du beau spectacle que le lac présente, vu de ces hauteurs.

Bientôt nous apercevons une douzaine de cavaliers postés sur les sommets qui nous dominent encore ; ils lancent leurs chevaux au galop dans notre direction.

Est-ce une embuscade, faut-il se tenir sur la défensive ? cette incertitude n’est pas de longue durée. À cent pas de nous, ils s’arrêtent, et leur chef, revêtu de l’uniforme des fonctionnaires de la Porte, s’avance seul et nous salue de la main.

C’est le kaïmakam de Yéni-Scheher ; il a reçu avis de notre prochain passage, et vient courtoisement au-devant de nous. Les divers serviteurs de sa maison l’accompagnent, suivant l’usage, portant chacun le costume et les insignes de ses fonctions : kiatib[2], tchiboukdji[3], etc., sans compter les zaptiés. Les deux escortes fraternisent et se mêlent ; puis nous reprenons notre chemin en compagnie du kaïmakam.

Nous marchons encore, une heure durant, avant d’arriver à Yeni-Scheher, moitié à travers des bois et des ravins sauvages, moitié dans la plaine monotone mais fertile où le bourg est situé. Nous y faisons notre entrée trois heures après avoir quitté Nicée.

La population, que le départ solennel de son premier magistrat intriguait sans doute, se presse curieusement sur notre passage ; les enfants, avec leurs petits costumes bariolés, gambadent entre les jambes des chevaux, les hommes se tiennent immobiles et silencieux le long des murailles, et les femmes nous jettent un regard furtif à travers les portes et les fenêtres entre-baillées.

Les maisons de Yéni-Scheher sont construites en mottes de terre, comme celles d’Ak-Séraï, et le konak lui-même n’est qu’un grand bâtiment fort délabré. Mais l’accueil que nous y recevons couronne dignement les

  1. Suite. — Voy. page 225 et la note.
  2. Secrétaire.
  3. Celui qui porte, entretient, présente les tchibouks (pipes), emploi important dans une maison turque. Le tchiboukdji d’un homme puissant, quand il sait, par ses soins et son adresse, se rendre agréable à son maître, est assuré de faire son chemin.