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y avons mis toutefois deux journées à profit pour recueillir une ample moisson de souvenirs impérissables.


IV

Nicée. — Le concile. — Les croisés. — Situation présente. — De Nicée à Yéni-Schéher.

Construite par Antigone, peu d’années après la mort d’Alexandre le Grand, Nicée devrait offrir à l’observateur quelques spécimens de l’art grec classique, si le temps, les tremblements de terre, l’invasion des Scythes et d’autres barbares, les ravages occasionnés par des siéges nombreux n’avaient pas entièrement détruit ses monuments primitifs. Il faut en rechercher les fragments incrustés dans les édifices plus modernes, spécialement dans les murs d’enceinte pour lesquels ils ont fourni de nombreux matériaux. Ici, un fût de colonne forme le linteau d’une poterne ; là, un chapiteau corinthien est mis à découvert par un éboulement ; plus loin, des portions entières du rempart sont revêtues de pierres tumulaires ou formées de blocs de marbre blanc, débris de pilastres et d’architraves.

Rome, et plus tard Byzance, ont, presque partout, recouvert d’une nouvelle couche de monuments, le sol conquis de l’Asie Mineure. Le théâtre de Nicée est contemporain de Pline le Jeune qui, dans ses lettres, donne à Trajan des détails sur la construction de cet édifice ; c’est aujourd’hui une masse confuse de voûtes, de gradins de grosses pierres taillées, à travers lesquels se fait jour une végétation puissante ; il est sur un point culminant d’où l’on domine le lac et une partie des ruines.

Deux des portes principales, celle de Stamboul et celle de Lefké sont accompagnées d’arcs de triomphe en marbre blanc, érigés du temps de l’empereur Adrien. Le premier se trouve reproduit ici d’après une photographie. Les travaux de défense dont on les a environnés au moyen âge, et l’exhaussement du terrain nuisent à la beauté de leurs proportions.

Nicée (Isnik) : porte de Lefké (extérieur).

L’époque byzantine est représentée par des monuments plus nombreux. Il faut parler d’abord des murailles[1], aussi curieuses au point de vue de l’art des fortifications qu’intéressantes par le souvenir des grandes luttes dont elles furent témoins.

Elles subsistent presque sans lacunes, et présentent un développement de plus de quatre mille mètres. La construction primitive en doit remonter au quatrième siècle, mais elles ont subi des augmentations et modifications successives constatées par plusieurs inscriptions. Elles se composent d’une double enceinte, le mœnium et l’agger[2], celui-ci moins élevé que le premier, et sont flanquées en tout de deux cent quatre-vingt-trois tours, la plupart rondes, quelques-unes carrées.

Le béton qui constitue la masse de ces murailles, porte un revêtement en briques disposées horizontalement ou diversement inclinées, alternant parfois avec des assises de pierre de taille pour dessiner une mosaïque bizarre. Les créneaux qui les couronnaient ont presque entièrement disparu..

Le Bas-Empire a doté Nicée de plusieurs églises ; l’une, qui aujourd’hui encore sert aux Grecs de cathédrale, semble dater du douzième siècle ; elle est décorée de peintures intéressantes ; l’autre (Aghia-Sophia) a perdu sa coupole et ses voûtes, mais elle présente un aspect imposant et laisse voir quelques débris de mosaïques à travers les rameaux des figuiers qui l’ont envahie.

Quelques auteurs ont voulu y chercher le lieu où siégèrent les pères du premier concile ; cette supposition pourrait être vraisemblable à l’égard du second concile de Nicée (788) ; mais l’on sait que la première de ces assemblées tint ses séances dans le palais impérial dont il ne subsiste aucun vestige, et l’église d’Aghia-Sophia offre d’ailleurs des caractères architecturaux qui ne permettent point d’en faire remonter l’origine au delà du sixième siècle, comme l’a fort bien établi M. Texier ; c’est à Justinien qu’il en faut attribuer la construction.

Les sultans n’ont pas apporté moins de soin que les empereurs à la décoration de Nicée. Les Seljoucides d’Iconium y avaient introduit ce style charmant mélangé

  1. M. Texier en a fourni une description très-exacte et très-détaillée.
  2. La vue du lac, que j’ai prise du sommet de l’une des tours qui flanquent la porte de Stamboul, rendra cette disposition plus facile à saisir.