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voler nos pirogues, nous jugeâmes que deux rameurs de moins et deux heures perdues, seraient sans influence sur le parcours de la journée.

Ayant reconnu l’inutilité de nos ordres et l’inefficacité de nos prières sur les natures mutines et fantasques de ces Chontaquiros, nous prîmes le parti de les laisser se conduire à leur guise. Désormais ils purent, sans que nous fissions la moindre objection, s’arrêter où bon leur sembla, y stationner tant qu’ils voulurent et se remettre en route quand l’idée leur en vint. Cette indifférence apparente de notre part, eut un plein succès. Si nos rameurs profitèrent de la liberté que nous leur laissions pour flâner consciencieusement une moitié de la journée, ils employèrent si bien l’autre moitié qu’ils parvenaient non-seulement à regagner le temps perdu, mais même à dépasser le nombre de lieues que nous atteignions d’habitude. Il nous suffit aujourd’hui de jeter les yeux sur nos cahiers de rumbs pour nous convaincre que les journées de navigation que nous passâmes avec eux, furent les mieux remplies du voyage.

Abordage contre le tronc d’un siphonia elastica.

Le lendemain du jour où les deux Chontaquiros nous avaient brûlé la politesse, un de leurs camarades fut pris du désir de les imiter et profita du moment où nous déjeunions sur une plage du nom de Qumaria pour s’éclipser à travers les roseaux. Cette désertion fit d’autant plus de bruit que l’indigène était de l’équipage du comte de la Blanche-Épine qui poussa d’effroyables cris à l’idée de n’avoir plus que six rameurs dans sa pirogue au lieu de sept qu’il avait eus depuis Bitiricaya. Nous le laissâmes sur la plage en proie à une violente colère, et attendant pour se remettre en route que son rameur eût reparu. Il l’attendit si bien, que, sa pirogue distancée par les nôtres resta en arrière toute la journée. Au coucher du soleil nous nous arrêtâmes. Nous étions campés depuis un moment quand le noble retardataire nous rejoignit. Sans dire un mot il se retira à l’écart suivi de ses esclaves qui allumèrent du feu et préparèrent son souper. La nuit vint sur ces entrefaites. Vers neuf heures, nous achevions de dresser nos couchettes et nous allions nous souhaiter un doux sommeil et d’heureux songes, lorsqu’un bruit étrange arriva jusqu’à nous. C’était comme des plaintes déchirantes, entrecoupées de hoquets convulsifs et d’évacuations tumultueuses. On eût dit les gargouilles d’un édifice dégorgeant un flot de pluie. Ce bruit partait à la fois de plusieurs endroits de la plage. Nous écoutâmes, le cou tendu, l’oreille ouverte, constatant un effet dont nous ne pouvions deviner la cause, et, par cela même, frappés d’une vague terreur. L’aide-naturaliste qui parut tout à coup put nous renseigner sur ce bruit étrange. Pendant la journée, le chef de la commission française, ennuyé d’attendre son rameur était allé battre le bois pour se distraire et avait découvert, enlacée aux branches d’un arbre, une légumineuse papilionacée dont