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tans qui s’attribuent un pouvoir surnaturel et exploitent de leur mieux la crédulité de ceux qui les entourent. À l’aide de breuvages narcotiques ou de violents drastiques, ils plongent le malade dans un sommeil profond ou le purgent à lui faire rendre l’âme, comme l’historien Garcilaso fut purgé par ses bons parents. Si cette dernière est, selon l’expression populaire, chevillée dans le corps du sujet et qu’il réchappe à la fois de la maladie et du traitement diabolique auquel il est soumis, la science du docteur est réputée infaillible et ses soins lui sont convenablement payés. Entrer dans de plus longs détails au sujet de ces prétendues cures, serait tomber dans des redites et copier ce que le lecteur pourra trouver dans toutes les relations de voyages autour du monde publiées depuis trois siècles jusqu’à nos jours. Si le nombre des niais est infini comme le prétend Phèdre, le nombre des gens crédules ne l’est pas moins et les esprits forts ou les gens habiles, sont toujours portés par amour-propre et par intérêt à tirer tout le parti possible de leur supériorité réelle ou fictive.

À la mort d’un Antis ses parents et ses amis s’assemblent dans sa demeure, prennent par la tête et les pieds le cadavre enveloppé dans son sac et le jettent à la rivière. Cela fait, ils procèdent méthodiquement à la dévastation du logis. Ils brisent l’arc, les flèches et les poteries du défunt, éparpillent les cendres de son foyer, saccagent sa plantation, coupent rez terre les arbres qu’il a plantés et couronnent l’œuvre en mettant le feu à sa hutte. Désormais l’endroit est réputé impur, chacun en passant s’en écarte et quand la végétation a reconquis son ancien domaine, rien ne reste qui puisse rappeler le mort à la mémoire des vivants.

Nous aurions voulu pour l’édification de la jeunesse faire de ces indigènes de rigides observateurs du cinquième verset du Décalogue : Tes père et mère honoreras, etc., mais c’eût été altérer la vérité de notre étude et gratifier cette gent forestière de vertus qu’elle n’eut jamais. Les père et mère des Antis ne sont comptés pour rien par leurs enfants lorsque l’âge a courbé leur tête, débilité leurs bras, nous allions ajouter — et blanchi leurs cheveux, — mais nous nous rappelons à temps que ces Indiens gardent jusqu’à quatre-vingts ans leur chevelure entière et parfaitement noire. L’aliment rebuté, le haillon sali, la place dédaignée au foyer, sont le partage des vieillards. Nous ne saurions dire s’ils s’affligent de l’abandon dont ils sont l’objet ; mais ils doivent s’en consoler en songeant qu’autrefois, ils firent pour leurs père et mère, ce que leurs enfants font aujourd’hui pour eux. L’occupation de ces pauvres ilotes, est de charrier l’eau et le bois nécessaires au ménage, d’attiser le feu et d’empenner les flèches.

Le dogme des Antis est un mélange confus des croyances brahmaniques, du culte des Parsis longtemps en honneur chez les nations du Haut-Mexique et rétabli plus tard par les Incas sous sa forme abstraite et du catholicisme importé par les missionnaires. Ils font du soleil et du feu, de Christ et de Pachacamac, de la Vierge et de la lune, des astres et des saints, un étrange salmigondis. De ce pêle-mêle de théogonies ressortent toutefois, bien qu’à l’état de notions vagues, des idées sur la puissance du Grand Tout, l’existence de deux principes et une rémunération ou un châtiment au sortir de cette vie. Il est vrai que dans leur esprit, la récompense de l’homme juste, et cette récompense n’a rien qui tente et qui puisse faire aimer la vertu, c’est de revenir après sa mort habiter le corps d’un jaguar, d’un tapir ou d’un singe. Quant au méchant sa punition sera de ressusciter dans la peau d’un reptile ou dans celle d’un perroquet.

La nation des Antis, singulièrement amoindrie, compte à peine aujourd’hui huit à neuf cents hommes.

L’idiome de ces indigènes dont nous avons réuni quelques mots, est doux et facile. Ils le parlent avec une extrême volubilité, d’un ton sourd et voilé et sans jamais hausser ni baisser la voix. Quand l’un d’eux fait un récit quelconque à ses compagnons qui l’écoutent sans l’interrompre, sa narration qui dure souvent un quart d’heure, peut être comparée à une psalmodie du plain chant ou à un récitatif chanté sur une seule note.


IDIOME ANTIS.
Dieu, Tayta-Dios[1]. tête, iquito.
diable, camacarinchi. cheveu, noquisiri.
ciel, inquiti. visage, tiracamiti.
soleil, issiti. front, nutamaco.
lune, casiri. sourcil, notorinqui.
étoile, impoquiro. œil, noqui.
jour, quitahuiti. nez, iquirimachi.
nuit, echitiniqui. bouche, nochira.
air, tampia. langue, neuta.
pluie, incani. dent, nai.
aube, quitaïbititaï. oreille, nequimpita.
crépuscule, chapinitonaï. cou, napurama.
eau, nia. poitrine, notana.
feu, chichi. épaule, itisieta.
froid, huanachiri. bras, nojinpequi.
homme, sirari. main, paco.
femme, chinani. doigt, nacu.
mari, ochuema. ventre, nomoti.
enfant, ananiqui. corde, iviricha.
nombril, nomoquito. plume, pachiri.
jambe, iburi. danse, pina.
mollet, noguta. tapir, quimalo.
pied, noguiti. ours, maïni.
os, tusquichi. serpent, malanqui.
aveugle, mamisiraqui. cochon
boiteux, cotiguinchi. (pécari), sintuli.
voleur, custi. singe, osiato.
peur, nuchaluganaqui. chien, ochiti.
arbre, imchato. vautour, tisuni.
feuille, chapi. coq, atahua-sirari.
pierre, mapi. poule, atahua.
sable, impaniqui. œuf de poule, atahua-iquicho.
charbon, chimenco. dinde
fumée, chichianca. (sauvage), canari.
cendre, samanpa. perroquet, miniro.
maison, panenchi. perruche, méméri.
pirogue, pituchi. pigeon, sirumiga.
radeau, sintipua. perdrix, quichoti.
coton, anpechini. poisson, humani.
sucre, impuco. araignée, gheto.
cacao, sarhuiminiqui. mouche, chiquito.
canelle, metaqui. moustique, siquiri.
rocou, puchoti. fourmi, chibuquiro.
genipahua, ana. papillon, pempero.
manioc, caniri. patate douce, curiti.
maïs, sinqui. pistache de
tabac, saïri. terre, mani.
fil, manpichi. banane, parianti.
  1. Cette qualification donnée par les Antis à l’Être suprême est évidemment empruntée par eux à l’idiome quechua et à la langue espagnole. Tayta, en quechua, veut dire père. Dios, en espagnol, signifie Dieu.