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pas de s’arrêter chez eux pour les piller et les rançonner, tout en usant à leur égard de certaines formes. Ces maisons assez basses et dans lesquelles on ne peut guère entrer qu’en se courbant, sont de figure ovale, avec une toiture de chaume ou de roseaux nattés, supportée par des pieux fichés en terre à la distance de six pouces. Quelques-unes sont assez vastes pour loger deux familles. La plus étrange malpropreté règne dans l’intérieur. Des tas de cendres et de charbons éteints, des os et jusqu’à des carcasses d’animaux, des pelures de fruits et de racines, couvrent le sol d’une litière épaisse. Une odeur de bête fauve règne dans ces logis où l’air a de la peine à circuler[1]. Les animaux vivants que les propriétaires élèvent autour d’eux, chiens, poules, singes, aras et pécaris, ajoutent leurs émanations particulières au fumet général. Si le ton local de ces demeures défie l’examen du peintre, leur odeur échappe à l’analyse du chimiste. Le foyer est placé indifféremment au centre de l’unique pièce ou dans un de ses angles. Le temps que les hommes n’emploient pas à pourvoir à leur subsistance par la chasse ou la pêche, ils le passent à boire de la chicha de racines de manioc et à se chauffer, accroupis ou couchés sur des nattes.

Rameurs chontaquiros.

Les armes de la nation sont la massue, l’arc et les flèches. Des flèches barbelées ou à trident servent au pêcheur à surprendre le poisson dans les eaux courantes ; d’autres flèches à pointes de palmier ou à lance de bambou sont employées par le chasseur contre les oiseaux, les quadrupèdes et le cas échéant, contre l’homme. Parfois les Antis empoisonnent à l’aide du barbasco (menispermum cocculus) non pas des rivières, comme l’assure un de nos voyageurs, — le courant de ces rivières d’une vitesse de huit à dix milles à l’heure, annulerait l’effet du barbasco — mais les criques et les baies ou remansos, où l’action de ce courant est presque insensible. La racine du ménisperme qui blanchit l’eau, comme pourrait le faire la chaux ou le savon, enivre momentanément le poisson, qui après s’être débattu un instant, monte le ventre en l’air et vient flotter à la surface de l’eau où son immobilité permet au pêcheur de le prendre à la main, non pas par milliers, comme l’insinue encore notre voyageur, — le poisson n’est pas très-commun dans ces eaux encore froides — mais d’en recueillir quelques douzaines[2].

Les poteries des Antis sont grossièrement fabriquées, peintes et vernissées. Le modèle en est fort restreint comme on en peut juger par le dessin qui accompagne notre texte. Une jarre à chicha, un pot à soupe, une écuelle de grand ou de petit format, en composent toute la variété. Ce que ces indigènes possèdent d’élégant en ce genre leur vient des Chontaquiros, qui eux-mêmes le tiennent des Conibos. Leurs ustensiles de ménage sont empruntés à des dépouilles d’animaux. Ils ont des cuillers faites avec la valve d’une moule ou le crâne d’un singe, des râpes à manioc que leur fournit la langue osseuse du Maïus osteoglossum, des soufflets fabriqués avec les rectrices des hoccos et des pénélopes et des démêloirs tirés de la nageoire dorsale de certains poissons. Leurs vases à boire sont des moitiés de calebasses (crescentia cujete) qu’ils vernissent à l’extérieur et sur lesquelles ils gravent de grossiers dessins.

Vivant à l’écart et par familles ou couples isolés, ces indigènes ne sont régis par d’autres lois que celle de

  1. Ceci s’applique seulement aux maisons des Antis, rapprochées des versants de la Cordillère, comme celles de Mancureali, Umiripanco, etc. Le froid des neiges qui se fait sentir jusque-là, à certaines époques de l’année, oblige ces indigènes à clore et à calfeutrer leurs habitations. Trente lieues plus bas, l’élévation de la température, qui va toujours en augmentant, rend ces précautions superflues. De là, ces demeures d’Antis, parfaitement aérées et même ouvertes à tout vent, comme nous en avons vu à Manugali, Sangobatea, etc., etc.
  2. Ce genre de pêche n’est usité par les Antis que depuis Illapani jusqu’à Tunkini.