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gibecière en forme de cabas que les hommes portent en sautoir et dans laquelle ils mettent leurs objets de toilette, lesquels se composent d’un peigne fabriqué avec les épines du palmier chonta, d’un peu d’achiote ou rocou en pâte, d’une moitié de pomme de genipa (huitoch), d’un fragment de miroir enchâssé dans du bois, d’un peloton de fil, d’un morceau de cire, d’une pince à épiler, formée de deux valves de mutilus, d’une tabatière empruntée au test d’un helix, bouchée avec un tampon de coton et renfermant du tabac récolté vert et moulu très-fin, enfin d’un appareil à priser, fabriqué avec deux bouts de roseaux longs chacun de trois centimètres, ou deux humérus de singe soudés avec de la cire noire et figurant un angle aigu[1]. Ceux de ces Indiens assez heureux pour posséder un couteau, des ciseaux, des hameçons ou des aiguilles de fabrique européenne les gardent dans leur gibecière ou simbo, mêlés à leurs articles de toilette et joignent ainsi l’utile à l’agréable, selon l’expression du poëte.

Les deux sexes portent la chevelure en queue de cheval et coupée carrément à la hauteur de l’œil. À la mort d’un des leurs ils se rasent la tête en signe de deuil. L’or et les pierreries qui constellaient jadis les vêtements de leurs voisins, les Fils du Soleil, sont dédaignés par eux ou leur sont inconnus. Le seul bijou d’une valeur intrinsèque qui rehausse la simplicité un peu nue de leur costume, est une pièce d’argent monnayé, — réal ou demi-réal, — qu’ils se sont procurée et qu’ils aplatissent entre deux pierres de manière à tripler sa circonférence. Quand cette pièce leur paraît suffisamment amincie, ils la percent et la suspendent à la cloison de leurs narines. Avec cette patène qui reluit à distance et se meut à chacun de leurs mouvements, ils ont des colliers de verroterie, de graines de cédrèle et de styrax, des peaux d’oiseaux de couleurs brillantes, des becs de toucans, des ongles de tapir et jusqu’à des gousses de vanille, suspendus à un fil. Ces brimborions disposés par grosses houppes, sont attachés par les petits-maîtres et les coquettes de la nation à l’échancrure de leur sac, tombent sur leur poitrine, pendent sur leur dos, ou leur dessinent de magnifiques épaulettes. Les deux sexes portent en outre des bracelets en tissu de coton, ourdis, sur le bras même, lesquels lorsque la chair du sujet enfle pour une cause ou l’autre et fait bourrelet, produisent un effet singulier. Ces bracelets blancs, sont agrémentés d’une frange de crins noirs, de piquants de hérisson ou de dents de maki-sapa, le singe ériodes des naturalistes.

Antis en partie de pêche.

Les maisons des Antis sont presque toujours édifiées au bord des cours d’eau de l’intérieur, éloignées les unes des autres et à demi cachées par le rideau de la végétation. Ces indigènes fuient par calcul, les endroits en vue et les berges de la grande rivière[2] où leurs voisins les Chontaquiros en voguant d’aval en amont, ne manquent

    des Conibos, on peut passer une nuit à la belle étoile sans être piqué par un seul zancudo, tandis qu’en mettant le pied chez ces indigènes, on ne saurait dormir sans l’abri d’une moustiquaire.

  1. À l’aide de ce petit appareil, le priseur peut lui-même fournir sa provende à chaque narine ; mais le grand appareil dont chaque tube a vingt centimètres de longueur, ne peut être employé sans le concours d’un camarade qui introduit tour à tour un des tubes dans chaque narine du sujet et y insuffle le tabac. Cette opération a lieu à tour de rôle, et de sujet actif ou insuffleur, chaque individu devient sujet passif ou insufflé. L’emploi du tabac en poudre chez les Antis est considéré par eux comme un préservatif ou comme un remède contre les coryzas, qu’ils prennent an sortir du bain et qui leur sont souvent fatals, plutôt que comme un plaisir véritable. Ce même usage, en vigueur chez les Chontaquiros et les Conibos, cesse au delà du territoire de ces Indiens, où l’élévation de la température rend inutile l’emploi du tabac vert comme révulsif contre les rhumes de cerveau.
  2. De Mancureali à Bitiricaya, sur une étendue de quatre-vingt onze lieues, nous n’avons relevé, et le lecteur avec nous, que cinq ou six demeures d’Indiens Antis, édifiées sur la rive gauche du Quillabamba-Santa-Ana ; tous les autres abris que nous avons rencontrés en chemin, étaient des logements provisoires.