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firent que s’étendre et se consolider. À diverses reprises, des troupes d’indigènes de la Sierra, guidés par des fils ou des parents de Yupanqui et des empereurs qui lui succédèrent, abandonnèrent leurs foyers pour traverser les Andes et s’établir parmi les nations de l’est. Vers l’année 1529-30, au moment où les derniers chefs de race incasique qui avaient dirigé ces migrations partielles, se disposaient à rentrer dans la Sierra Nevada, la nouvelle de la mort de Huayna-Capac leur parvint presque en même temps que celle de l’arrivée des Espagnols et de la chute de l’empire des Incas. Tous renonçant alors à leur projet de retour, se fixèrent définitivement près de leurs alliés et ne revirent plus leur ancien territoire.

La conquête espagnole, en substituant sa domination à l’ancien ordre de choses, loin d’entraver la marche de ces migrations, leur donna au contraire une impulsion nouvelle. Seulement, où les Incas n’avaient eu en vue qu’un agrandissement de leur territoire et de leur puissance, les Espagnols virent un moyen de se procurer de nouvelles richesses.

Le renom fabuleux des empires d’Enim et du grand Païtiti, dont le pays des Musus formait, dit-on, le centre, était parvenu jusqu’à eux, grossi par le temps, la distance et l’exagération naturelle aux races primitives.

Le souvenir des expéditions accomplies par l’Inca Yupanqui et ses successeurs, n’était pas tellement oblitéré parmi les Quechuas de la Sierra Nevada, qu’ils ne pussent fournir à cet égard des renseignements détaillés à leurs nouveaux maîtres.

Quelques compagnons de Pizarre, suivis d’une troupe d’aventuriers, pénétrèrent dans ces régions mystérieuses, où, d’après la rumeur publique, étaient entassés d’immenses trésors.

Pedro de Candia explora les environs de la rivière Amaru-Mayo et revint à Cuzco, sans avoir trouvé les richesses qu’il convoitait. Pedro Anzurez de Campo Redondo s’introduisit dans les vallées de Carabaya, remonta jusqu’aux sources du rio Beni, et rebuté par des fatigues et des dangers sans nombre, rentra dans le Collao, d’où il était parti, sans avoir découvert la prétendue région de l’or. Dans le nord du Pérou, les recherches de la contrée où ce métal, selon la tradition orale, était employé aux plus vils usages, se poursuivaient activement.

Gonzalez Pizarre, frère du conquérant, parcourait à la tête d’hommes déterminés, la province de la Canelle.

Francisco Orellana, parti de l’Équateur en quête du lac de Parrima, qui roulait des flots d’or liquide, et de la cité de Manoa del Dorado, dont le nom seul explique la richesse, descendait la rivière Napo et débouchait dans le Marañon, auquel il donnait le nom de mer Orellane.

Pedro de Ursua et Lopez de Aguirre, sortis du rio Huallaga, s’abandonnaient aux rapides courants du Haut-Amazone.

Tous ces hommes, possédés du démon de l’or et sollicités par les mêmes instincts qu’ils décoraient d’un prétexte de gloire, poursuivaient avidement le même but et ne trouvaient en somme que des déceptions, la-misère « et souvent une mort obscure[1].

À l’exemple des conquérants, des moines de tous les ordres, des pères de Jésus, parcouraient ces contrées, cherchant la route des empires d’Enim et du grand Païtiti, non dans l’idée d’y trouver des trésors périssables, mais pour ramener à la vraie foi les Indiens Quechuas, qui depuis longtemps avaient abandonné la Sierra sous la conduite de leurs chefs, et ceux qui venaient d’en sortir, guidés par un frère d’Atahuallpa, l’Inca supplicié à Caxamarca, par ordre de Pizarre.

Le nombre de ces derniers s’élevait, dit-on, à quarante mille [2].

Paul MARCOY.

(La suite à la prochaine livraison.)



  1. Le père Rodriguez, dans son œuvre, El Marañon y Amazonas édit. 1682, après avoir porté dans quelques-unes de ses appréciations des faits et gestes des conquérants ses compatriotes, cet esprit de partialité, ce parti pris d’amplification qui caractérisent les historiens de sa nation, rompt brusquement en visière à Pizarre et à ses compagnons, s’exclame sur leur facilité à donner crédit aux contes dorés des empires d’Enim et du grand Païtiti et semble prendre un malin plaisir à renverser à coups de plume le palais et la cour de l’Apu-Musu, ou seigneur des Moxos. Il qualifie lestement la capitale de cet empire, ornée de somptueux édifices, peuplée d’un nombre infini d’habitants, et qu’au dire de témoins de l’époque, on mettait une journée entière à traverser, de — quelques chaumières d’Indiens, — algunos ranchos de Indios. Il termine cette revue, dont l’esprit critique devance de deux siècles celui de son époque, par ces remarquables paroles : « Les soldats de Pizarre ne trouvèrent au lieu de l’or qu’on leur avait promis, que la fatigue, la maladie et la mort. Les religieux ne trouvèrent pas non plus les millions d’âmes qu’on affirmait avoir vues dans l’empire du Païtiti. » (El Marañon y Amazonas, libro VI, capitulo iv.)
  2. Les historiographes espagnols du dix-septième siècle, les moines et les missionnaires, dans leurs relations de cette époque, ont grossi comme à plaisir le chiffre des populations américaines. Ce système d’exagération, cet amour du merveilleux que leur nation tient évidemment des Maures et des Arabes et que nous avons déjà signalés ailleurs, ont été suivis par les statisticiens du pays dans leurs recensements ou leurs descriptions, et nos voyageurs modernes, en copiant le travail de ceux-ci, en ont reproduit les inexactitudes. Comme exemple, nous citerons les chiffres des populations donnés par d’Orbigny, dans l’Homme Américain, lesquels peuvent être hardiment diminués de moitié. La plus forte levée de troupes faite par les Incas, au temps de leur splendeur, ne dépassa jamais le chiffre de vingt-cinq à trente mille hommes, et dans les quarante mille Indiens, qu’après la mort d’Atahuallpa, un frère consanguin de cet Inca (Philippe Tupac Amaru), entraîna à sa suite dans les vallée de l’Est, il faut voir simplement une troupe de quelques milliers d’Indiens, auxquels les historiens ont ajouté le chiffre des migrations partielles qui avaient eu lieu sous les règnes de l’Inca Roca et de ses successeurs. La remarque que nous faisons ici avait été faite autrefois par des missionnaires, dont on trouvera les noms relatés dans les éphémerides du clocteur Cosme Bueno (année 1768).