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(hodié Mascas), dans le Nord, l’Ouest et le Sud la nation des Collahuas-Aymaras[1] et rejeta les Canas y Canchis du cœur de la Sierra sur le versant oriental des Andes, que cette pression dut agir sur les Antis comme elle agissait sur leurs voisins et les déposséder en même temps que ces derniers, du territoire qu’ils occupaient depuis longtemps.

En admettant dès le principe, ce voisinage immédiat des Antis et des Quechuas, la cause de leur ressemblance est suffisamment expliquée et les dissemblances que peuvent offrir à cette heure, l’idiome, les us et coutumes des deux nations, ne sont que la conséquence de leur séparation qui remonte à plus de huit siècles.

Si néanmoins notre lecteur s’entête et persiste dans son opinion, tenax propositi, et repousse comme invraisemblable toute idée de contact entre les deux nations, s’autorisant de la distance qui les sépare, de l’indifférence ou mieux de l’ignorance d’elles-mêmes dans laquelle elles vivent et des dissemblances qu’elles peuvent offrir, nous le renverrons pour s’éclairer sur la question aux historiographes de la conquête. Alors pour peu qu’il ajoute foi aux récits de Garcilaso et de Herrera, aux relations imprimées ou manuscrites des moines de différents ordres, des Pères de Jésus, des chercheurs d’or et des aventuriers des seizième, dix-septième et dix huitième siècles, relations dont regorgent les archives des couvents du Pérou, ce lecteur sceptique sera bien forcé de se rendre à l’évidence et d’admettre non-seulement un rapprochement, mais un contact immédiat et presque une fusion entre les Antis et les Quechuas.

D’après Garcilaso, que sa qualité d’Inca rendait sinon propre au métier d’écrivain, du moins bien informé sur les faits et gestes de ses ancêtres, la première expédition guerrière tentée par les Fils du Soleil contre les nations qui, sous le nom générique d’Antis ou de Chunchos, habitaient la contrée située au revers oriental des Andes, (en quechua Antis) cette expédition eut lieu sous le régne de l’Inca Roca, sixième du nom, lequel vivait au milieu du treizième siècle.

Yahuar Huaccac, fils aîné de cet empereur et nommé par lui généralisme des troupes, entra à la tête de quinze mille hommes dans les vallées de Pillcopata, Tono, Havisca et Paucartampu, qu’il soumit et qu’il annexa à l’empire. Des forteresses (pucaras) s’élevèrent sur la limite des pays conquis ; une garnison y fut placée pour prévenir l’invasion de l’ennemi et protéger les habitants des villages qu’on ne tarda pas a édifier.

Les choses restèrent sur ce pied jusqu’à la mort de l’Inca Roca. Yahuar Huaccac, qui lui succéda, ne régna que peu de temps et fut déposé par ses sujets qui élurent à sa place son fils Hueracocha.

Pendant plus de deux siècles, les conquêtes des empereurs furent dirigées au nord, au sud et à l’ouest de la Sierra et celles déjà faites à l’est des Andes, si bien négligées, qu’elles tombèrent dans l’oubli et qu’on en cherche en vain la trace dans l’œuvre des auteurs espagnols qui ont écrit sur cette époque.

Dans les premières années du quinzième siècle, l’Inca Yupanqui, dixième du nom, reprit la série des conquêtes de son trisaïeul Roca, au point où celui-ci les avait laissées.

Il envoya dans les vallées de l’est une armée de dix mille hommes commandée par un de ses parents. Deux ans furent employés à fabriquer des radeaux pour le transport des soldats, des vivres et des munitions, puis cette armée s’embarqua sur la grande rivière que les nations conquises appelaient indifféremment Mano, Tono, Opotari, et qu’en raison de ses nombreux circuits Yahuar Huaccac avait surnommée autrefois Amaru-mayo, rivière du Serpent[2]. Après bien des dangers et des fatigues sous un climat nouveau pour eux et force rencontres sanglantes avec les naturels qui peuplaient les deux rives de l’Amaru-mayo, ceux-ci furent défaits, se rangèrent sous le joug des Incas et devinrent leurs tributaires[3].

L’armée de Yupanqui, réduite à mille hommes, prit à travers terres, se dirigeant vers la province des Musus, les Moxos d’aujourd’hui, qui habitaient alors la rive gauche du Beni. N’osant s’attaquer à ces naturels avec le peu de forces dont il disposait, l’Inca, parent de Yupanqui, entreprit de les ramener à lui par la douceur et la persuasion et il y réussit. Pendant que les Quechuas contractaient des alliances avec les Musus recevant des mains de ceux-ci leurs filles pour épouses, les Musus envoyaient à Cuzco une ambassade des principaux de leur nation pour rendre hommage au chef de l’empire et le prier de ratifier le traité conclu entre les deux nations.

Ces ambassadeurs qui s’étaient rendus à Cuzco par les vallées de Carabaya, trouvèrent les chemins si mauvais, qu’à leur retour ils prirent par la Bolivie, s’embarquèrent sur le rio Beni et le descendirent jusqu’à leur territoire.

À partir de cette époque, les relations des Quechuas avec la grande famille des Antis[4] et celle des Musus, ne

    cours d’eau de la région du Pajonal qu’elles habitèrent, et dont la plupart d’entre elles tiraient leur nom, la nation Antis est désignée par le triple nom d’Antis, Campas y Mascas.

  1. Nous avons tracé dans notre monographie des Incas les déplacements successifs de cette nation, aujourd’hui reléguée en Bolivie.
  2. C’est la rivière Madre de Dios des Espagnols. Ce nom lui fut donné à l’occasion d’une statuette de la mère de Dieu qu’on trouva sur ses rives, où les Indiens Huatchipayris, après une attaque de hacienda de Coñispata, l’avaient jetée comme un objet indifférent.
  3. Ces tributs qui consistaient en bois précieux et odorants, en minerai, pépites et poudre d’or provenant des lavaderos, en parfums, plumes de couleurs variées, coton, coca, cire, miel, animaux rares ou curieux, etc., etc., furent religieusement payés aux Incas jusqu’à la mort de Philippe Tupac Amaru, seizième et avant-dernier du nom, c’est-à-dire plus de six ans encore après la conquête espagnole (Voir notre Notice sur les Incas).
  4. Nous adoptons ici la qualification d’Antis donnée autrefois indistinctement avec celle de Chunchos à toutes les tribus qui vivaient sur les versants orientaux de la chaîne des Andes (Antis). Toutefois, nous remarquerons en passant que cette qualification n’est applicable aujourd’hui qu’à la seule nation dont nous venons de traverser le territoire.