d’ennemis et le laps de temps écoulé depuis ce passage. Pour de plus amples détails à cet égard, consulter l’Américain Fenimore Cooper.
Certes, nous sommes loin de posséder ce tact pratique, cette infaillibilité de coup d’œil et de jugement qui ressemblent presque à de la prescience. Mais seize ans de courses à travers le monde, dont douze consacrés à l’étude des lieux que nous décrivons aujourd’hui, ont développé eu nous certaines facultés d’observation que ne donnent ni la lecture des voyages, ni l’examen des cartes de géographie. Aussi, nous n’eûmes pas plutôt jeté les yeux sur l’embouchure de la rivière Camisia, qu’à la couleur de ses eaux et à l’immobilité de son cours dont la partie visible, d’un kilomètre d’étendue environ, se maintenait à l’est-sud-est, nous jugeâmes que cet affluent du Quillabamba-Santa-Ana, venait de plus loin qu’aucun de ceux que nous avions relevé jusqu’alors. Maintenant cédons la parole aux Antis et écoutons ce qu’ils vont nous dire au sujet de cette rivière. À l’exemple de certains de nos confrères nous pourrions affirmer, sans crainte d’être démenti, qu’après des fatigues et des dangers sans nombre, nous avons découvert la chose tout seul ; mais ces vanteries nous répugnent et nous aimons mieux reporter à qui de droit l’honneur de cette découverte. Reddite quæ sunt Cæsaris, Cæsari, et quæ sunt Dei, Deo, dit la parabole.
« À une lieue de son embouchure, la rivière Camisia, dont la direction se maintient constamment entre l’est et le sud, coule encaissée entre des berges couvertes d’une épaisse végétation. Après quelques lieues en amont, ces berges disparaissent et sont remplacées par des rochers à pic. Le cours de cette rivière offre peu de sinuosités et son courant est presque insensible, excepté par le travers de Tunkini, où des roches placées en travers de son lit déterminent deux chutes ou cascades assez élevées. Au delà de cet endroit la rivière redevient calme et remonte du nord au sud entre une double ligne de forêts alternant avec de hautes falaises. On ne lui connaît d’autres affluents que deux ou trois ruisseaux sans importance descendus de l’ouest. Les Indiens Pucapacuris habitent ses deux rives et la traversent à l’aide de radeaux. Ces indigènes entretiennent des relations suivies avec les Impetiniris qui vivent au nord de leur territoire et communiquent dans le sud avec les Tuyneris du rio Chaupimayo, les Huatchipayris du rio Coñispata et les Siriniris du rio CCoñi ou de Marcapata. Tous ces naturels vont nus, parlent la même langue, et leurs coutumes sont semblables. Les Pucapacuris sont en guerre ouverte avec les Antis et les Chontaquiros du Quillabamba-Santa-Ana. »
Comme le réseau fluvial des onze vallées qui s’étendent entre Apolobamba et Santa-Ana nous était assez familier ; que nous avions relevé autrefois en passant[1] les sources du Mapacho ou Paucartampu et que la direction de cette rivière, franchement décidée vers le nord-nord-est, nous avait frappé non moins que le rapprochement des deux chaînons de Tono et d’Avisca entre lesquels elle coule encaissée, nous n’hésitâmes pas un seul instant la croire que la rivière Camisia que nous avions sous les yeux, fût celle que nous avions vue sortir d’un petit lac circulaire entouré de neiges, en nous rendant à Marcapata. Libre aux géographes de discuter notre opinion ou de l’admettre sans conteste.
Notre déjeuner terminé et pendant qu’on récurait les pots et les marmites, je battis la plage et récoltai dans les endroits ombreux deux variétés de fougères, une adianthée à larges feuilles et de nouvelles enothœres ; des ficus, des bombax, des mimoses à larges siliques et des guttifères s’éleVaient à l’entrée du bois. Aux endroits sablonneux et arides, le gynerium-saccharoïdes formait de vastes fourrés au seuil desquels s’enlaçaient des liserons nains d’un rose pâle et où croissait en abondance une verveine mycrophille à épi lâche et à odeur de citron. J’eus à peine le temps de remarquer qu’à cet endroit la végétation du Quillabamba-Santa-Ana et celle de son affluent le Camisia, manquaient de caractère, que les cris de nos compagnons me rappelèrent vers ma pirogue. Cinq minutes après nous prenions le large.
- ↑ Une Expédition malheureuse. — Scènes et paysages dans les Andes. 2e série. Paris, Hachette, 1861.