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flèches, celui-ci fourra dans son cabas des amandes de rocou et des pommes de genipahua destinées aux peintures faciales, celui-là fit provision de ces piments secs appelés quitun-quitun dont l’espèce est cultivée par les hacenderos des vallées du Pérou[1].

En opérant ces soustractions diverses, nos gens avaient l’air si tranquilles et si sûrs d’eux-mêmes, la propriété d’autrui leur paraissait si bien une chose à laquelle ils avaient d’incontestables droits, qu’encourages par leur exemple et dans l’idée que, s’ils n’avaient pas tout à fait raison d’en agir ainsi, peut-être n’avaient-ils pas non plus tout à fait tort, nous grappillâmes à notre tour quelques menus objets, mais en ayant soin d’invoquer comme prétexte ou comme excuse à ces déprédations, les besoins de la science. Quand il n’y eut plus rien à prendre, nous allumâmes du feu, nous remplîmes d’eau une marmite et jetâmes dans ce liquide, avec un certain nombre de bananes et de racines, du piment et du sel, les poissons achetés aux Indiens de Ghigalosigri.

Un radeau d’Antis, à Chigalosigri.

Comme ce court-bouillon était en train de cuire, le propriétaire des ajoupas arriva suivi de sa femme et de son enfant, jeune drôle d’une dizaine d’années économiquement habillé de son seul épiderme. Si l’Antis fut désagréablement surpris de trouver sous son toit une vingtaine d’individus de couleurs et de nations diverses,

  1. Les marchés des grandes villes sont approvisionnés de cette variété de piment, dont la force est telle qu’elle a donné lieu au dicton local : Faltale un grado para ser veneno. Il ne leur manque qu’un degré pour être du poison. Ce prétendu poison est très-estimé des indigènes, et particulièrement du beau sexe. Nous nous rappelons avoir vu aux bains d’été, dans la vallée d’Aréquipa, une fillette de douze ans, d’une des premières familles de la ville, croquer à jeun, et comme un enfant de son âge aurait pu faire de pralines et de dragées, une poignée de ces piments enragés, dont la seule odeur fait éternuer et pleurer un Européen.