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puits s’arrête à une galerie qui porte la date de 1582 ; elle est longue de trois mille cinq cents pieds et conduit aux premiers travaux. Le produit du Rammelsberg, qui appartient au Hanovre et au Brunswick, est annuellement de dix à douze marcs d’or, quatre mille marcs d’argent, six mille quintaux de plomb, cinq mille quintaux de cuivre et sept mille quintaux de vitriol. Cent quatre vingt-dix mineurs sont journellement occupés à l’extraction du minerai. Tout cela est très-curieux à voir ; il faut de quatre à cinq heures pour tout visiter en détail. Après être monté, descendu, puis remonté encore, je vis tout à coup, au fond d’une galerie, un point d’une clarté éblouissante ; mon guide me dit : « Das ist Tageslicht. » Je crus que j’allais assister à des travaux exécutés à la lumière électrique, tant, à ce moment, la galerie fut inondée de lumière ; c’était le jour qui venait au travers d’une porte qu’un ouvrier ouvrait pour laisser passer un wagon chargé. Les travaux à ciel ouvert sont également très-intéressants ; ils offrent des tableaux d’un caractère très-pittoresque et agréables à voir après une demi-journée passée sous terre à des profondeurs considérables. Au bout d’un certain temps de marche, on retrouve la petite maisonnette du chef mineur, dans laquelle on répare avec plaisir le désordre de sa toilette[1].

Le lendemain, j’allai visiter les mines de Clausthal, décrites par M. A. Laugel dans un article publié par la Revue des Deux Mondes et dont je ne saurais mieux faire que de rappeler quelques passages :

« En approchant de Clausthal on remarque, dans les anfractuosités des vallées, des étangs retenus par des digues fort élevées : ce sont les réservoirs de l’eau destinée aux mines ; on l’économise et on l’emmagasine avec le plus grand soin, c’est la seule force qu’on puisse utiliser pour faire mouvoir les pompes d’épuisement et les machines d’extraction, ainsi que les appareils divers employés dans les ateliers métallurgiques. J’arrivai enfin à Zellerfeld, puis à Clausthal. La rue principale, qui n’est autre que la route elle-même, s’étend sur une très-grande longueur ; elle est bordée de maisons propres, bâties en bois, et d’ordinaire à deux étages. Les fenêtres sont presque toujours décorées de pots de fleurs, derrière lesquels on aperçoit la figure blonde et étonnée d’un enfant, souvent un mineur fumant tranquillement sa pipe et jetant sur la voiture qui passe un regard mélancolique. Une fois à Clausthal, je me trouvais sur le théâtre de mes recherches, et ce n’était plus l’aspect seulement du pays, c’étaient aussi les conditions d’existence des populations que j’allais étudier. Tout en explorant les richesses de ce district métallurgique du Harz, depuis longtemps célèbre, je m’étais promis d’observer, dans son action sur la vie sociale, le régime économique tout spécial qui s’y maintient depuis tant d’années.

« Toutes les usines d’argent du Harz réunies produisent aujourd’hui annuellement de quarante-cinq mille à quarante-six mille marcs d’argent, valant de deux millions cent soixante-treize mille sept cent cinquante francs à deux millions deux cent vingt-deux mille deux cent cinquante francs ; cinq cent quatre-vingt-quatre mille six cent vingt-cinq kilogrammes de litharge, valant deux cent trois mille cent vingt-cinq francs ; trois millions cinq cent trente-neuf mille huit cent soixante kilogrammes de plomb, valant un million cent quatre vingt-trois mille neuf cent quatre francs ; quarante-deux mille quatre-vingt-treize kilogrammes de cuivre, valant cent vingt et un mille trois cent soixante-quinze francs, et douze mille cent soixante-deux kilogrammes d’arsenic, valant sept mille cinq cent un francs. Le chiffre total de cette production atteint trois millions sept cent trente-huit mille cent cinquante-cinq francs.

« Les enfants des mineurs reçoivent, dans les écoles, les éléments de l’instruction primaire ; leur éducation religieuse se fait dans le temple luthérien. On les voit partir le matin pour aller souvent à une grande distance, un livre et une ardoise sous le bras, avec cette gravité précoce particulière aux enfants qui sont habitués de très-bonne heure à se passer de guides et à se suffire à eux-mêmes. L’enfance se partage ainsi entre l’école et le foyer domestique. La mère vague seule à tous les soins du ménage, et le père, revenu de la mine, reste au logis dans un complet repos, qui lui est bien nécessaire après son pénible travail. Cette vie intérieure et paisible a sa poésie et ses touchants épisodes, souvent reproduits dans des gravures qu’on voit presque partout dans le Harz. L’une de ces compositions naïves m’a toujours frappé : on y voit le mineur en costume de travail, ses outils au côté, quittant la chambre ou s’écoulent toutes les heures fortunées de sa vie. Une petite horloge en bois, quelques gravures enluminées, ornent seules les murs ; mais, sur le

  1. Suivant une traduction publiée par les frères Grimm, voici comment la mine du Rammelsberg aurait été découverte :

    « Dans le temps que l’empereur Otto Ier habitait le Harzburg, il donnait souvent de grandes chasses sur le Harz. Or, il arriva que Ramm (selon d’autres Remme), l’un de ses meilleurs veneurs, chassant un jour au pied de la montagne, vers la partie occidentale du château, rencontra une bête fauve et se mit à sa poursuite. Mais bientôt, la campagne devenant trop escarpée, il descendit de son cheval, l’attacha à un arbre et courut à pied sur les traces de l’animal. Son cheval, resté derrière, frappait la terre avec impatience, et de ses pieds de devant creusait le sol. Lorsque son maître. le chasseur Ramm, revint de poursuivre sa proie, il vit avec étonnement que son cheval, en frappant ainsi la terre, avait découvert une belle mine. Il prit quelques échantillons du minerai et les porta à l’empereur, qui mit aussitôt des ouvriers à cette mine et la fit sonder. On trouva une immense quantité de métal, et la montagne prit en l’honneur du chasseur le nom de Rammelsberg (montagne de Ramm). La femme du chasseur s’appelait Goza, et ce serait d’elle que la ville bâtie dans le voisinage aurait reçu le nom de Goslar.

    « Le chasseur fut enterré dans la chapelle de Saint-Augustin, et sur la pierre de ce tombeau on tailla deux images de grandeur naturelle qui le représentaient lui et sa femme ; Ramm porte dans la main droite une épée, et Goza une couronne sur la tête.

    « Selon d’autres, ce n’est point le chasseur qui s’appelait Rammel, mais bien le cheval du jeune chasseur. Ce cheval ayant été une fois attaché sur la montagne, se démena (rammelte) tellement qu’à force de battre la terre du pied, les clous aigus de ses fers mirent à découvert une mine d’or.

    « L’empereur Otto doit avoir eu sur le haut de la montagne, à l’endroit nommé Werl, un château ou une salle devant laquelle il fit un jour trancher la tête à un roi son prisonnier. Plus tard, la mine s’éboula et fit périr tant de travailleurs que trois cent cinquante veuves vinrent devant la mine pleurer leurs morts. Après ce malheur, la mine resta cent ans abandonnée, et Goslar devint si désert que l’herbe croissait à une grande hauteur dans toutes les rues. »