Page:Le Tour du monde - 08.djvu/72

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

conduire en trois heures au sommet du Broken. Pendant la première heure de marche tout alla pour le mieux, et ma sécurité était si grande que je demandai plusieurs fois au guide quelques moments de repos ; pour toute réponse il hâtait le pas ; je m’expliquai bientôt cette obstination. Lorsque nous arrivâmes près d’un amas de rochers séparés les uns des autres, l’orage qui n’avait fait jusque-là que menacer, éclata dans toute sa fureur. Un vent affreux nous coupait le visage, la pluie tombait lourde et compacte, l’eau descendait de la montagne en torrents impétueux, des arbres brisés étaient entraînés par le courant, et le fracas du tonnerre semblait faire trembler la montagne. Par moments nous étions enveloppés dans des tourbillons si violents que, pour y résister, il fallait marcher serrés l’un contre l’autre. Arrivés à la hauteur où cesse toute végétation, les rafales redoublèrent ; les éclairs paraissaient glisser devant nous le long de la montagne. Nous montions toujours d’un pas ferme et régulier, sans échanger une parole. Après une heure de marche, un nouveau et magnifique spectacle se déroula devant nous : au-dessus de nos têtes nous avions un soleil splendide et l’orage à nos pieds ; la scène était grande, majestueuse ; les nuages roulaient les uns au-dessus des autres. De temps en temps une pointe de rocher apparaissait, puis disparaissait immédiatement comme dans une mer furieuse. Le froid que nous ressentîmes vint nous tirer de cette contemplation, et nous nous dirigeâmes en toute hâte vers le Brokenhaus dont le toit se montrait au-dessus d’un mouvement de terrain ; nous y arrivâmes bientôt trempés jusqu’aux os. Le maître de l’auberge nous avait vus de loin et nous attendait à l’entrée de son logis ; une bonne chambre et un bon feu étaient préparés, et nous eûmes bientôt oublié la rude ascension que nous venions de faire.

Le Regenstein, château de Henri l’Oiseleur (voy. p. 67).