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Le Harz se compose d’énormes blocs dont la base s’élève à plusieurs centaines de pieds au-dessus du niveau de la mer. Son étendue est de trente-six milles carrés. Les montagnes sont généralement isolées et forment d’immenses monticules de forme conique séparés par des vallées étroites et profondes, surtout dans le nord du Harz. Une chaîne de montagnes divise ce pays en deux parties ; plusieurs rivières y prennent leur source ; les principales sont : la Bode, la Holzemme, la Wipper, la Tyra, l’Ilse et la Selke.

Les voyages dans le Harz se font ordinairement du sud au nord par les touristes qui habitent en deçà du Rhin ; j’ai préféré faire mon excursion en véritable Allemand, c’est-à-dire en me dirigeant de Halberstadt sur Harzbourg.


II
Halberstadt. — Maisons anciennes. — Place du Marché. — Costumes. — Hôtel de ville. — Cathédrale ; tombeaux anciens. — Église de Notre-Dame. — Ovation faite à un duc.

Arrivé à Halberstadt à quatre heures du matin par un temps superbe. La ville complétement déserte. Vive impression. J’examine avec un véritable plaisir les vieilles maisons qui bordent les rues, tout en me préparant à faire une ample collection de dessins d’antiquités architecturales. Quelques maisons sont de véritables chefs-d’œuvre de sculpture en bois ; les détails sont terminés comme les belles boiseries flamandes. Les cariatides et les gargouilles ont des formes tellement tordues qu’il faut suivre avec attention la ligne du sujet principal pour retrouver ce que l’artiste a voulu représenter. La maison, appelée le Rathskeller, qui date du commencement du quinzième siècle, est une merveille du genre. Les trois étages qui avancent sur la rue sont d’un dessin différent ; la galerie inférieure est la plus ornée et la mieux soignée ; l’artiste a donné aux figures et aux ornements qui forment les coins de la maison, le plus d’importance, ce qui sert parfaitement à l’effet général. Les détails du haut sont plus larges quoique plus légers dans la forme afin de ne pas écraser la partie inférieure du monument.

Cette maison forme l’angle d’une rue qui est la continuation de la place du Marché. Toute la ligne de maisons qui bordent cette grande artère est très-remarquable : sous ce rapport Halberstadt est une merveille.

La place est surtout intéressante un jour de marché. Le costume des hommes a beaucoup d’originalité ; celui des femmes a dans la forme quelque chose d’oriental : elles portent de grands manteaux bleus rayés de blanc, d’autres rayés de rouge ou de grandes pelisses à trois étages de volants dans lesquelles les mères enroulent et portent leurs enfants. Les plis de ces grands vêtements, l’air calme et la lenteur des mouvements donnent aux femmes un caractère sculptural. Au milieu de tout ce monde passent des charrettes attelées de bœufs qui marchent d’un pas lent et grave.

Le monument le plus important de cette place est l’hôtel de ville. Son architecture est très-variée et se fait surtout remarquer par un assemblage pittoresque de différents styles. La plus grande partie de l’édifice est gothique ; quelques détails sont remarquables par l’heureux agencement des lignes ; dans le nombre j’ai surtout étudié avec soin un balcon formant l’angle de la place et qui est de toute beauté. L’artiste a évidemment cherché avant tout l’originalité de la ligne sans tenir compte des règles de la construction. C’est plutôt l’œuvre d’un peintre que d’un architecte. Un perron qui sert d’entrée porte, dans un cartouche qui se trouve au haut du pignon, la date de 1663. Cet avant-corps a de chaque côté un escalier qui mène au palier principal percé de trois arcades cintrées. Cette partie du bâtiment a encore un cachet remarquable d’originalité. La première galerie surtout se distingue par une invention d’ornementation des plus étonnantes : trois têtes grimaçantes sont taillées dans la pierre ; il m’est arrivé souvent d’aller les regarder le soir ; elles me paraissaient s’animer et se tordre dans des mouvements convulsifs, et je m’attendais presque à entendre un éclat de rire formidable sortir de leurs bouches béantes.

Ce bruit imaginaire dans le silence de la rue émeut le promeneur attardé qui sous cette impression jette un regard inquiet autour de lui et s’imagine voir dans quelque coin d’une vieille masure une tête hideuse dont la vision le poursuivra.

La ligne supérieure du pignon est également formée par des figures bizarres qui semblent grimper les unes par-dessus les autres. Dans le cartouche du milieu sont représentées les armes de la ville et dans la partie supérieure d’autres armoiries d’une origine inconnue.

Derrière l’hôtel de ville on remarque une église dont les deux tours sont reliées par un pont de bois d’un effet singulier. À quelques pas plus loin on voit la cathédrale qui domine tout le quartier marchand.

La cathédrale d’Halberstadt a sa légende dans laquelle Satan joue, comme d’ordinaire, le rôle principal. Au milieu de la place on a conservé une énorme pierre que l’homme noir avait lancée, dit-on, contre le monument pour le détruire ; mais les archéologues s’obstinent à n’y voir qu’un ancien autel païen.

L’église est très-belle et peut compter parmi les monuments les plus remarquables et les moins connus de l’Allemagne du nord. Elle offre un mélange curieux du style gothique allemand depuis le treizième jusqu’au quatorzième siècle. Les parties inférieures des tours, les fenêtres, l’entre-colonnement et le portail, d’un beau style, datent de 1180 à 1220, les grandes fenêtres et les piliers contre-boutants sont de 1300 à 1380. Les arceaux et les piliers m’ont paru très-riches en détails ; dans l’une des cannelures se trouve une magnifique tête de Christ, autour de laquelle sont groupés les douze apôtres. Sur la partie supérieure des chapiteaux on a représenté, avec beaucoup d’art, les quatre évangélistes.

L’intérieur de la cathédrale surtout est digne d’attention ; l’aspect en est imposant et les lignes principales sont grandioses. Le ton sombre, qui domine, donne de la saillie et de l’effet aux détails exposés à recevoir la