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ses en perspective, tant au nord qu’au sud des provinces du Négous. Malheureusement, depuis la date de cette lettre (elle est du 22 février), il est survenu pour M. Lejean des circonstances extrêmement fâcheuses, qui compromettent fort la réalisation de ses excellents projets. Par des motifs jusqu’à présent assez mal expliqués, l’empereur Théodore, après avoir fait à notre compatriote un accueil des plus flatteurs, revenant tout à coup sur ces bonnes dispositions, fit saisir M. Lejean qui fut jeté en prison.

Mais dans ce malheureux pays, dont on pouvait croire les destinées mieux assises depuis les événements qui avaient mis le pouvoir souverain aux mains de Théodore, une nouvelle révolution est survenue qui a tout remis en question. Cette révolution, du moins, a eu pour M. Lejean l’heureux résultat de le rendre à la liberté. Voici ce que l’on rapporte. Un soulèvement formidable aurait éclaté dans le Ghoa (dont le Baz a été dépossédé il y a deux ou trois ans) ; et l’empereur Théodore, accouru pour réprimer le mouvement, aurait été complétement défait. Selon un usage assez habituel en Abyssinie à l’égard des prisonniers d’importance, Théodore avait fait amener M. Lejean à la suite de son armée ; si bien que dans la déroute notre compatriote est tombé aux mains du vainqueur, qui l’a traité, assure-t-on, avec toutes sortes d’égards. Les lettres du voyageur lui-même ne sauraient manquer de nous apporter bientôt de plus complets renseignements.


V

Nous avons été arrêtés longtemps dans ces régions du haut bassin du Nil, où se concentrent tant d’efforts et de persévérance énergique : c’est que là est le grand intérêt actuel des explorations africaines. Nous pouvons passer plus rapidement en revue les entreprises qui se préparent ou se poursuivent dans les autres parties de l’Afrique, bien que plusieurs ne manquent ni d’importance ni d’avenir.

De sinistres nouvelles sont arrivées du Soudan ; la mort de M. de Beurmann, annoncée depuis un certain temps et dont on s’efforçait de douter, paraît maintenant trop certaine. Il était parti de Kouka, le 26 décembre 1862, pour tenter la route du Ouadây par le nord du lac Tchad ; c’est dans cette tentative qu’il a succombé. Les détails manquent encore. C’était sur le docteur Beurmann que reposaient les dernières espérances du comité de Gotha pour les explorations du Soudan oriental.

Sur notre territoire algérien et ses oasis du sud, rien de considérable à signaler, si ce n’est la relation officielle des commissaires envoyés à Gh’adamès, dans les derniers mois de 1862, pour conclure avec les Touareg une convention commerciale, et la publication prochaine d’un volume de M. Henry Duveyrier, avec une grande et belle carte où sont tracés tous les itinéraires de ses trois années de voyages dans les parties inexplorées du Sahara algérien et dans le pays des Touareg. Le livre de M. Duveyrier sera une acquisition précieuse pour la géographie de ces contrées sahariennes, où tant d’intérêts considérables s’ouvrent aujourd’hui pour nous, et, en attendant, la relation des commissaires de Gh’adamès nous apporte des données d’une grande valeur pour l’étude physique et économique du Sahara tripolitain et de ses populations.

À l’autre extrémité de la région de l’Atlas, un voyageur allemand, M. Gerhard Rohlf de Brême, est parvenu l’année dernière, sous les dehors d’un Arabe musulman, à visiter les oasis de Tafilelt et de Fighig, dont nous n’avons jusqu’à présent aucune relation européenne, et le récit de cette excursion vient d’être publié dans les Mittheilungen[1]. Dans les conditions où il a fait cette traversée de caravane, M. Rohlf n’avait avec lui aucun instrument et n’a pu faire aucune observation, pas même avec la boussole ; néanmoins sa notice a pour nous le vif intérêt d’une course accomplie à travers un pays inconnu. On y prend au moins une idée générale de la nature et de la disposition du pays, avec des détails tout à fait neufs sur les localités principales. C’est, au total, une bonne acquisition pour la géographie. M. Rohlf, revenu dans la province d’Oran, se disposait à entreprendre la traversée du grand désert jusqu’à Timbouktou. Un à un, tous les voiles qui naguère encore nous dérobaient ces vastes contrées du nord-ouest de l’Afrique s’écartent devant nous, et la carte se couvre rapidement de détails qui nous montrent le Sahara sous un aspect tout nouveau.

Au Sénégal, le retour de M. Faidherbe au poste de gouverneur, dont on l’avait vu s’éloigner avec tant de regret il y a un an, est d’un heureux présage tout à la fois pour le rapide développement de la colonie et l’extension de nos connaissances sur les contrées et les tribus environnantes. M. Gérard, le célèbre tueur de lions, a ambitionné une gloire plus haute que celle d’intrépide chasseur ; il a pensé, sans doute, que les sauvages n’étaient pas plus rudes à affronter que les lions de l’Atlas, et il a voulu, lui aussi, devenir un explorateur. Après plusieurs projets conçus et abandonnés, il a trouvé à Londres les moyens d’organiser un voyage de découvertes dans la haute Guinée, au-dessus de l’Achantî. Il y a là toute une région inconnue entre les pays de la côte et le bassin supérieur du Dhioliba ; si M. Gérard peut y porter ses reconnaissances et y utiliser les instruments dont il a dû se rendre l’emploi familier, il aura bien mérité de la science.

Le Gabon est aussi un pays nouveau pour la géographie. Les excursions que Du Chaillu y a poussées en deux ou trois directions ont été, en Angleterre, le sujet de vives controverses, où il y a eu souvent moins de justice que de passion ; il est du moins un honneur qu’on ne peut lui refuser : c’est d’avoir appelé l’intérêt sur des contrées jusqu’alors inconnues, et d’en avoir provoqué une étude de plus en plus agrandie. Plusieurs notices intéressantes en ont été adressées depuis un an aux sociétés savantes par les missionnaires américains qui y ont des

  1. Au no 10 de 1863, cahier d’octobre.