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Le pauvre homme avait eu si grand’peur la nuit précédente, qu’il en était presque fou. Il s’était creusé une fosse de neuf pieds de long sur deux et demi de large, qu’il avait recouverte de grosses branches, d’une masse d’herbe, d’une couche de terre, et s’y était fourré pour attendre les éléphants qui viendraient boire. Une femelle l’ayant senti se précipita vers l’ouverture de la fosse, y passa la trompe et fouilla de tous les côtés pour le saisir. Blotti à l’autre bout du couloir il ne fut pas atteint ; mais si la bête, au lieu de se tenir à l’entrée de la cachette, avait écarté les branches qui la recouvraient, c’en était fait du chasseur. Boccas affirme que cette fouille a duré cinq grandes minutes ; et malheureusement il ne pouvait tirer la bête qu’au pied ou à la trompe, seuls points qu’il aperçût.

Pour moi, j’ai été plus heureux ; entendant boire l’éléphant, je sortis de ma cachette avec précaution ; la bête se retourna lorsqu’elle se fut désaltérée, et je lui envoyai, à douze pas, une balle qui l’atteignit derrière l’épaule avec tant de force qu’elle en fut traversée. Nous l’avons retrouvée ce matin à mille pas du bord de l’eau.

Oryx ou gemsbok (voy. la note de la p. 407).

J’ai le visage tellement noir et meurtri, que mon ami le plus intime aurait de la peine à me reconnaître. C’est de votre faute, me dira-t-on ; mais que voulez-vous ? dans ces chasses nocturnes vous n’avez qu’un seul coup à tirer ; si vous n’en profitez pas, vous avez fait cette longue veillée pour rien ; autrement elle peut être fort productive. Un chef makalaka est venu me prier l’autre jour de tuer quelques bêtes pour lui et ses sujets ; ils fuient la colère de Mossilskatsi et meurent de faim. Boccas leur a tué vingt-trois pièces, dont trois antilopes noires d’une seule balle, fait extraordinaire au clair de lune, et moi dix-sept, parmi lesquelles deux éléphants, quatre rhinocéros et quatre buffles ; il n’en reste plus vestiges. Ces pauvres gens se sont rassasiés, et sont partis avec une bonne provision de beultong (viande séchée au soleil). C’est ainsi que les riverains de la Zouga et du lac Ngami ont détruit le gibier dans leurs parages, en allant se placer, chaque fois qu’il fait de la lune, aux différents endroits où les animaux vont boire, maintenant que de la baie de Walvish on leur apporte des fusils et des munitions.

Je n’aime pas l’affût, à moins que les circonstances ne l’exigent ; il est rare que j’approvisionne ma bande autrement que par une chasse loyale, au grand jour, et à travers plaine et bois. L’affût, d’ailleurs, n’est pas toujours heureux. J’étais, dans la nuit du 14, près d’une fontaine appelée Zebizèna, où l’on m’assurait que des éléphants venaient boire. Je n’y ai trouvé que de pauvres gens qui mouraient de faim, et depuis lors j’ai toujours été malade. Ce n’est pas que les éléphants aient manqué au rendez-vous ; il y avait longtemps que j’entendais un bruit sourd ; à la fin les branches se sont cassées, et la troupe est arrivée d’un pas rapide et retentissant, composée d’individus qui marchaient à la file les uns des autres. Elle s’est arrêtée à quarante pas de ma cachette ; les colosses ont puisé l’eau avec leur trompe et l’ont versée dans leur gosier, où elle est descendue avec un glouglou sonore. J’ai envoyé mes deux balles au plus gros de la bande, et tous ont disparu en un clin d’œil. Il vint alors une foule innombrable d’hyènes, et ce furent des cris de démons, des luttes acharnées, des courses folles, un sabbat infernal. Jamais je ne les ai vues dans un pareil délire ; je ne devine pas quelle en était la cause. Des lions rugissaient à peu de distance ; j’espérais les voir, mais ils s’éloignèrent sans paraître.

Nanta, 19 octobre. — Il y avait ici une bande de dix-sept macreuses ; je les ai tellement persécutées, que les