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Conduit par les trois bêtes au milieu des trappes à gibier, creusées par les naturels, je dirigeai mon cheval du côté où la palissade était le plus épaisse ; c’était celui qui offrait le moins de danger. Férus, bondissant comme un cerf à travers une lande couverte de broussailles, alla droit à la meilleure des trois femelles qu’il sépara des autres, et que je tuai sans quitter l’étrier.

4 juin. — Hier, en cherchant des harrisbucks, dont j’avais aperçu les traces, le hasard m’a fait découvrir un étang ou viennent boire d’immenses troupes de buffles, et auquel aboutissaient vingt pistes au moins de rhinocéros et d’autres animaux. J’aurais aimé à faire une veillée sur ses bords ; mais j’étais déjà en arrière des wagons ; il a fallu partir ; sans cela quel plaisir j’aurais eu !

13 juin. — Belle et bonne chasse ! deux beaux échantillons d’espèces rares : un oryx[1] et une antilope rouane, plus une girafe grasse. C’est à mon cheval que revient tout l’honneur de la chasse à l’oryx, antilope qui a la vitesse et le fonds d’une machine à vapeur. J’étais dans une plaine immense, et ne pensais pas a rejoindre la bande, lorsque je m’aperçus qu’évidemment les antilopes perdaient haleine.

Mon cheval, au contraire, était vigoureux et frais ; je le ménageai pour le coup décisif, cherchai les plus belles cornes, jetai mes vues sur une femelle d’une beauté splendide et qui, au moment où je lâchai la bride à Férus, était au moins à mille pas. L’allure fut effrayante ; je tirai et faillis piquer une tête par-dessus mon oryx, qui tomba tout à coup sous les naseaux de mon cheval.

Ramshua, 29 juin. — J’ai vu enfin cinq éléphants. Ayant choisi le plus gros, je l’ai séparé des autres, et lui ai tiré mes deux coups. Peu de temps après il s’est retourné (à peine était-il à quarante pas) et a chargé d’une manière terrifiante. Kébon, un nouveau cheval que je montais pour la première fois, resta ferme comme un roc. Je voulais envoyer à l’éléphant une balle dans la poitrine, mon coup de prédilection ; mais dès que j’essayais de mettre le fusil à l’épaule, Kébon encensait et m’empêchait de viser.

Tandis que je m’efforçais de le calmer, l’éléphant chargea de nouveau ; je tirai à l’aventure, et soit que la balle lui eut sifflé désagréablement à l’oreille, soit un motif que j’ignore, mon cheval secoua la tête avec tant de force, que la rêne gauche passa du côté opposé, la gourmette se détacha, et le mors lui tourna dans la bouche.

Chasse à l’éléphant.

Le colosse n’était plus qu’à vingt yards ; il avançait, les deux oreilles dressées et mouvantes, et sonnait de la trompe avec fureur. Ne pouvant conduire mon cheval qu’avec mes éperons, je lui labourai les flancs d’une manière sauvage. Au lieu de se détourner, Kébon s’élança vers le monstre, et je me crus à ma dernière minute. Je me rejetai aussi loin que possible, fus effleuré par la trompe, et je tirai à bout portant. Nouveaux coups d’éperons, nouvel élan de mon cheval, qui s’arrêta devant trois bauhinias, formant un triangle : je lui creusai la chair ; il passa, me

  1. Oryx du Cap, gemsbok des Hollandais, belle antilope, de la taille de l’âne, dont elle a presque la nuance, disent Cumming et Harris. Toutefois, sa robe d’un buffle vineux (Smith), a quelque tendance à virer aux zébrures ; une bande noire s’étend de la nuque à la croupe, où elle s’élargit angulairement, et la tête est rayée de manière à figurer un licol ; une large raie noire, placée au-dessus du genou, remonte sur le bras, traverse le flanc et se termine sur la cuisse par une plaque angulaire, à la hauteur du jarret. Une tache noire se voit en outre sur les jambes, dont la partie inférieure est blanche. La poitrine, le ventre, une portion de la tête et les oreilles sont également de cette dernière couleur. La queue, épaisse et noire, balaye la terre ; la crinière est droite, suivant Cumming, renversée, d’après Smith et Harris (ce qui prouverait que l’une et l’autre se rencontrent), et un bouquet de poils noirs et flottants orne la gorge. Les cornes, d’un mètre de longueur, s’incurvent légèrement en arrière et s’effilent avec élégance ; elles portent de vingt-cinq à trente anneaux à la base, et sont tellement parallèles, que, vues de profil, elles se recouvrent entièrement, d’où certains auteurs ont supposé que l’oryx avait donné lieu à la fable de la licorne. L’oryx fait bon usage de ces armes défensives, et plus d’une fois on l’a trouvé mort à côté du lion qu’il avait transpercé, et dont il n’avait pu retirer ses dagues.

    Chose étrange, la femelle est non-seulement armée ainsi que le mâle, ce qui est rare, mais c’est elle qui a les cornes les plus longues. Habitant du désert, l’oryx du Cap se trouve principalement dans les karrous et les plaines découvertes du pays des Namaquois. Il prospère dans ces lieux arides, où parfois, dit Cumming, il semblerait qu’une sauterelle ne pourrait pas vivre. Ce chasseur est persuadé que l’oryx ne boit jamais ; il est probable que l’extrême vitesse de cette antilope lui permet d’aller gagner les étangs ou les rivières toutes les fois qu’elle est pressée par la soif. Trop défiant, trop rapide pour être approché, vivant de plus en des lieux où il est difficile au chasseur de dissimuler sa présence, l’oryx n’est jamais stalked (chassé à la rampée). On le poursuit à cheval, et on le force rarement, car sa vigueur est égale à sa vitesse. « Je ne me rappelle pas, dit Cumming, avoir atteint l’oryx plus de quatre fois, quand j’étais seul, et je montais alors la fleur de mon écurie. Le plan que j’avais adopté, et que suivent généralement les boërs, consistait à placer mes Bushmen (excellents jockeys, petits et légers) sur des chevaux d’un grand fond, et de les convertir en