Page:Le Tour du monde - 08.djvu/405

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jours après, nous arriverons, je l’espère, au kraal de Séchélé, où treize bœufs nous attendent et nous seront d’un immense secours. La marche est si pénible dans ces sables mouvants ! Quatorze bœufs, tirant tous à merveille, suffisent bien juste à traîner le chariot sur le pied de deux milles à l’heure.

17 novembre. — Une hyène m’a pris cette nuit une belle chèvre qui était fixée par la jambe à la roue du wagon dans lequel je dormais ; cinq hommes étaient couchés sous ce même wagon, et deux chevaux se trouvaient attachés à la roue de derrière. Ce fut aussitôt un branle-bas général, une levée de massues, d’asségayes et de tisons flambants, accompagnés de cris infernaux. La bande était guidée par les gémissements de la pauvre chèvre ; mais les plaintes s’éloignaient à mesure qu’on avançait, et la bête ravisseuse disparut avec sa proie. Les bêlements s’éteignirent, les chiens s’effrayèrent, la nuit était sombre, les hommes n’avaient plus rien qui les guidât, et la chasse fut abandonnée.

L’hyène disparut avec sa proie.

Je reprochai amèrement à l’hyène le souper qu’elle faisait à nos dépens ; car de mes trois chèvres, elle avait pris la meilleure. Si je ne l’avais pas vu, je n’aurais jamais cru cet animal capable d’emporter une bête aussi lourde (au moins soixante-dix livres), et avec une pareille vitesse. »

L’expédition avait été plus heureuse que Baldwin ne l’avait espéré ; il ramenait deux wagons chargés d’ivoire, et se retrouvait, le 11 décembre, à la frontière de la république d’Orange. Le Vaal coulait à pleins bords ; on était dans la saison pluvieuse, les rivières grandissaient rapidement et, après avoir failli mourir de soif, notre chasseur allait être arrêté par l’inondation. Plusieurs fois, déjà, il avait manqué périr par suite de la crue des eaux. « Un jour, dit-il, j’avais à franchir le Touguéla, je le trouvai débordé. Néanmoins, craignant les Bushmen, qui, tous voleurs de chevaux, étaient nombreux dans les environs, je résolus de conduire mes chevaux sur l’autre rive, et j’y réussis en les faisant nager parmi les bœufs de rechange. Restait à passer la voiture, une charrette couverte et suspendue que j’avais fait faire assez longue pour pouvoir y coucher. L’entreprise était sérieuse ; elle fut discutée avec mes Cafres, et, après avoir entendu le pour et le contre, je dis à mes hommes qu’ils ne souperaient que sur la rive droite. Ils n’hésitèrent plus à gagner l’autre bord. Je fis attacher toutes les courroies disponibles au bout les unes des autres, afin d’en composer une grande longe pour guider les bœufs ; et nous attelâmes immédiatement. La charrette fut lestée avec de grosses pierres que Matakit se chargea de maintenir en s’asseyant dessus. Je fixai la toile de chaque côté aux essieux, puis à l’avant et à l’arrière, et je montai sur le siége, mon grand fouet à la main. Inyous et Mick saisirent l’extrémité de la longe et s’en allèrent à quelques vingt pas des premiers bœufs qui avaient de l’eau juste au point ou ils allaient être forcés de nager. Le sol était bon, je donnai le signal et nous partîmes. Les bœufs avançaient, la charrette flottait bien, tout se passait à merveille ; j’éprouvais une vive satisfaction.

« Lorsque les bœufs eurent rejoint nos conducteurs, je criai à ceux-ci de leur rendre la longe et de s’écarter de la voie ; mes hommes se troublèrent, sentirent qu’ils s’engravaient, tirèrent sur l’attelage qui décrivit une courbe, et dont les premiers bœufs, entraînés parle courant, ne se trouvèrent plus qu’à deux pieds de mes genoux.

Comprenant que nous allions chavirer, je me lançai dans la rivière le plus loin possible, et me mis sur le dos pour voir ce qui était arrivé. La charrette avait disparu ; Inyous et Mick, perchés sur les bœufs du centre, et pris d’une horrible frayeur, se laissaient aller à la dérive ; mais pas vestige de Matakit Le pauvre garçon était enfermé dans la charrette ; les grosses pierres sur lesquelles il était assis devaient lui avoir écrasé la tête.

« J’essayai d’aller à son aide, mais le courant s’y opposait, et mes forces commençaient à s’épuiser, quand, à ma joie bien vive, j’aperçus mon Cafre à peu de distance. Il battait l’eau vigoureusement ; et bien qu’il eût déclaré jusqu’ici ne pas savoir nager, il se tira d’affaire à merveille. Bref, à l’exception d’un seul qui se noya, tous les bœufs finirent par aborder ; et bêtes et gens se trouvèrent sur la rive droite, où ils arrivèrent sains et saufs. Mais de tous les objets qui étaient contenus dans la charrette, il ne me resta que mes deux fusils que j’avais solidement attachés aux parois : tout le reste fut perdu.

Une autre fois, je passais la même rivière, j’étais à cheval, le gué était peu profond ; c’est tout au plus si l’eau mouillait les sangles de ma selle. J’étais couché sur le dos, mon fusil à la main, les pieds à la hauteur du cou de la bête, et sottement dans les étriers, lorsque