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Le 17 mai, j’ai vu des léchés pour la première fois ; très-désireux d’en avoir un, j’ai essayé de les rejoindre à la rampée, mais sans aucun succès. Le lendemain, de très-bonne heure, j’avais repris ma chasse, et, à mon immense satisfaction, je tuai du premier coup un beau mâle, à trois cents pas. Le même jour, ayant troqué un vieux fusil contre un petit Masara, j’ai nommé celui-ci Léché. C’est un bambin qui n’a pas plus de deux ans, un beau petit garçon vif et réjoui, à la figure intelligente, et pas encore décharné par la faim ; je l’aime de tout mon cœur. Des Bamangouatos, revenant de chasser le lynx, le chacal, le chat sauvage, tous les animaux à fourrure du pays, avaient ramassé ce pauvre bébé ; celui qui s’en disait propriétaire me le proposa. Il y avait gros à parier qu’on l’abandonnerait en plein désert au premier jour de disette ou de fatigue ; je savais d’ailleurs ce qui l’attendait, en supposant même qu’on le ramenât au kraal ; bref, j’eus compassion du pauvre petit et l’achetai à son maître.

C’est ainsi que nous passâmes la nuit. — Dessin de Janet-Lange d’après Baldwin.

La journée du 24 mai restera longtemps gravée dans ma mémoire. N’ayant pas l’intention de me mettre en route ce jour-la, je me levai un peu plus tard que d’habitude et remarquai chez mes gens un silence qui ne présageait rien de bon. Comme je prenais mon café, Raffler, le conducteur du chariot, s’avança, et, parlant au nom de ses camarades : « Nous avons l’intention, me dit-il, de chercher le sentier qui ramène au pays. » Tous, en effet, semblaient prêts à partir ; mais je ne pris pas la chose au sérieux, et je répondis à Rafflers : « Très-bien, faites ce que vous voulez. » Immédiatement cinq de mes hommes se levèrent et me rendirent en grande pompe les munitions que je leur avais confiées, s’excusant beaucoup de la perte qu’ils avaient faite d’une ou deux balles. Le conducteur me fit en outre la remise de son fouet, des jougs, des traits du chariot, etc., puis ils réclamèrent leurs gages.

« Vous n’aurez pas, leur dis-je, un demi-penny ; je regrette même de vous avoir donné quelque chose d’avance. »

Ils parurent satisfaits de ce raisonnement, firent leurs adieux à Matakit et à Inyous, et je les vis se mettre en marche.

Ces deux derniers revinrent auprès de moi ; ils pleurèrent d’abord en silence, puis ils me dirent qu’avant deux jours nous serions perdus, et que les Masaras et les Makoubas nous tueraient.

La situation était claire ; je me trouvais à deux mois de ma dernière résidence, au milieu d’une forêt complétement inconnue, ayant le souvenir vivant de cette terre de la Soif, devenue plus affreuse que jamais, puisque nous étions dans la saison sèche. Il n’y avait pas à hésiter ; mon orgueil se révoltait, mais je finis par le