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recevoir, pas même souffert qu’il approchât de la résidence royale ; et furieux de l’audace de cet intrus, qu’il prend toujours pour un espion, il a envoyé à sa rencontre des hommes chargés de le ramener à ses chariots, et de lui enlever son cheval et ses armes. Je crains bien que cet incident ne nous ait fait perdre le peu de chance qui nous restait ; nous saurons cela demain. En attendant, je me régale d’une bière cafre de premier choix ; c’est vraiment une chose excellente.

Je suis fatigué comme un chien de ne rien faire ; si je n’avais pas un petit volume de Byron, que j’ai appris par cœur, je ne sais pas ce que je deviendrais. Nous jouons au petit palet avec les rondelles de cuir de nos rones ; après la partie, je m’exerce à lancer des pierres : cela fait passer le temps.

9 décembre. — Le camp est levé ; nous partons enfin, sans plus attendre. Six indigènes sont là pour nous aider à sortir du territoire. Swartz a tué dans le chariot un serpent de neuf pieds de long, un mamba, le plus venimeux des ophidiens de ce pays-ci. J’ai manqué hier de marcher sur un de ces reptiles, qui avait environ douze pieds ; il échappa aux asségayes, aux bâtons, et finit par gagner un trou dans lequel il disparut comme par magie. Nous l’avons frappé plusieurs fois ; mais il s’aplatissait tellement qu’il n’en fut pas blessé, et n’en devint que plus furieux.

Chasse aux serpents.

18 décembre. — Ayant renoncé à l’espoir de trouver des éléphants, nous avons depuis quelques jours fait une marche rapide ; l’un de nos essieux qui était fendu, s’est décidément brisé. La charge est si pesante que nous sommes tous obligés d’aller à pied. Rude besogne que de marcher de ce temps-ci depuis l’aurore jusqu’au coucher du soleil ! On ne s’arrête que deux fois pour abreuver les bœufs, et pour prendre à la hâte quelques rafraîchissements.

Nous avons rencontré hier une quantité de gibier, tué deux girafes, quatre rhinocéros, et eu la chasse la plus amusante que nous ayons faite depuis notre départ du Mérico. Une troupe de buffles, d’une centaine de bêtes au moins, se leva sur la droite, en avant de la girafe que j’avais séparée ; la bande fut bientôt distancée, car nous allions un train d’enfer. Ma girafe prit sur la gauche, et continuant à la suivre, j’eus à cinquante pas derrière moi les buffles qui arrivaient à toute vitesse. La position était peu rassurante ; si mon cheval fût tombé, la masse me passait sur le corps et j’étais mis en poudre. Mais grâce à la rapidité de notre course, nous fûmes bientôt loin des buffles ; je tirai la girafe ; Swartz arriva sur ces entrefaites, et acheva la bête que j’avais blessée un peu trop bas. Je tirai ensuite une grande femelle de rhinocéros, qui fuyait au plus vite, et la roulai dans le bon style : le coup lui brisa l’épine dorsale, chose qui arrive très-rarement.

25 décembre. — Quel contraste avec les jours de Noël, si gaiement passés dans ma vieille Angleterre, au sein de ma famille et de mes amis ! la comparaison m’attriste. Je suis en pleine solitude ; j’ai marché sous un soleil dévorant (nous sommes en été) depuis l’aurore jusqu’à la chute du jour, et je n’en peux plus. Un morceau de rhinocéros, tellement gras que l’estomac le plus ferme en est soulevé, une petite ration de pâte, à moitié cuite, en guise de pain, tel a été notre menu. Ce repas est loin du festin traditionnel de la christmas anglaise. Mais si l’existence du chasseur a parfois de ces mécomptes, elle a aussi des plaisirs qui dédommagent amplement des privations qu’elle inflige. Après tout, la chose est mieux telle qu’elle est ; si nous étions largement abreuvés et nourris comme un heureux de la Grande-Bretagne, nous ne serions guère en haleine et ferions de triste besogne. J’avoue cependant que j’aimerais à boire un verre de bière à la santé de mes amis, et à le faire suivre d’une bouteille de vieux porto. Ne disons rien du pâté ; j’en ai complétement oublié le goût depuis que j’ai quitté la maison pour frayer avec les hôtes des forêts. C’est égal ; je porterai la santé des amis avec une tasse de café, le breuvage le plus capiteux que j’aie à ma disposition. »

Ils marchaient nuit et jour afin de sortir du désert ; la lune était dans son plein, et c’est à peine s’ils dormaient deux ou trois heures, quand l’occasion s’en présentait. Bref, le 6 janvier 1858, la caravane débarquait chez Swartz, où elle arrivait sans autre accident ; et trois ou quatre jours après, Baldwin reprenait le chemin de la Terre de Natal.


Première visite au lac Ngami[1] — Une girafe dans un arbre. Abandon et solitude. — Chasse à l’oryx. — indigène poursuivi par un buffle. — L’auteur chassé par un éléphant.

« Après avoir été rejoindre Swartz à Mérico, j’ai fait route avec lui pendant quatorze jours. Le 17 avril 1858, nous nous sommes séparés à Létloché ; il retourne chez Mossilikatsi, et je me dirige vers le lac. Me voici complétement livré à moi-même ; seul en plein désert de

  1. Ce lac d’eau douce, situé par vingt et un degrés de latitude sud, a été découvert en 1849 par MM. Livingstone, Oswell et Murray. H. L.