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buisson pour l’examiner, mais il avait disparu, ou plutôt les buissons, les arbres, les quartiers de roche qui encombraient la ravine me l’avaient caché. »

Le 25, ils avaient enfin dételé au bord d’une eau limpide : « Nous y attendions la réponse de Mossilikatsi, dit Baldwin ; il y avait déjà trois jours qu’il était prévenu de notre arrivée. Marquons tout de suite que ce grand chef, persuadé que nous étions des espions des boers, nous laissa là pendant deux mois ; non-seulement il ne voulait pas que nous missions le pied dans ses États, mais il avait envoyé une troupe assez forte pour surveiller nos mouvements. Ne sachant rien de tout cela, nous espérions qu’il répondrait à notre message. En attendant, je profitais de la rivière. Le 27, vers le coucher du soleil, j’étais en train de nager, quand deux coups de fusil retentirent du côté des wagons ; au même instant, je vis passer à toute vitesse un rhinocéros noir, serré de près par les chiens, qui ne tardèrent pas à le mettre aux abois. Neuf coups de feu, tirés par six individus, furent adressés à la bête, et l’auraient tous frappée derrière l’épaule, s’il avait fallu en croire leurs auteurs ; mais, après la mort dudit rhinocéros, on ne lui a pas trouvé plus de quatre balles, dont l’une était dans la culotte. Le pauvre Smouse a été secoué d’une rude façon ; il pèse au moins cent livres et le rhinocéros s’en est joué comme d’un fétu. Il devait être broyé, mais il ne s’en porte pas plus mal ; toutefois, après sa chute, il avait l’air terriblement grognon, et s’est abstenu de reprendre part au combat.

« Ce même jour, qui était un mardi, j’ai tué mon premier tsessébé, et le lendemain soir mon premier harrisbuck. Ils étaient quatre au milieu d’une foule de couaggas ; John, qui le découvrit avant moi, m’appela d’un signe, et la chasse commença. Je courus au large à fond de train, pendant que John les suivait. Ils s’arrêtèrent pour le regarder ; je sautai de cheval ; le coup de John, qui les avait manqués, les fit bondir, et, au moment où ils repartaient, ma balle traversa la croupe du dernier, que je vis s’abattre avec la joie la plus vive. C’était un noble animal. Je me suis appliqué à en préparer la peau ; malheureusement, je n’avais que du sel pour la conserver, et il a plu avant qu’elle fût sèche. Le soleil se couchait lorsque j’ai tué cette magnifique antilope ; nous étions loin du camp, mais je tenais à la dépouiller tout de suite. John m’a été d’un grand secours ; la peau fut lestement enlevée, attachée sur Croppy, et nous sommes revenus sans encombre, ayant par bonheur un peu de lune, et le lit desséché d’une rivière pour nous guider.

Je m’amusais à chasser des babouins.

« Chacun de nous se porte bien, mais voudrait voir des éléphants ; l’impatience nous gagne. Je viens de prendre, pour écrire, un trognon de plume d’autruche qui servait de boucle d’oreille à l’un de nos Cafres, et je trace ces lignes avec un mélange de vinaigre et de poudre : une encre détestable. Nous attendons toujours la réponse de Mossillikatsi ; rien ne se présente ; nous sommes en quarantaine. Le gibier est rare, d’une approche si difficile qu’on ne peut chasser qu’à cheval, et je suis complétement démonté ; John m’a pris Luister et Crafty, que je lui avais promis quand j’étais riche ; mon pauvre Jack est mort, Bryan est malade, et Veichman, que je viens d’acheter, est non-seulement d’une maigreur effrayante, mais il a une plaie sur le dos et la sole usée jusqu’au vif. Je lui ai fait des bottines ; il s’en trouve à merveille, mais il ne


    tagnes, jusqu’au soir et toute la journée suivante, sans que rien nous révélât l’objet de nos recherches ; mais le troisième jour, vers midi, regardant avec précaution par-dessus la rampe qui nous abritait, nous aperçûmes les deux mâles qui passaient tranquillement dans une vallée pierreuse. Nous disposant de manière à défendre l’entrée d’un lacis de ravins, où s’emmêlait une végétation puissante, nous commencâmes l’attaque. Un premier coup brisa la jambe de l’un des mâles, un second coucha la bête. Néanmoins se relevant aussitôt, elle me conduisit à plus d’un mille, sur des pierres aiguës ; puis, se retournant tout à coup, elle fit deux charges vaillantes, s’affaissa sur elle-même, et fut tuée immédiatement. J’essayerais en vain de décrire la sensation que j’éprouvai lorsque, après ces trois jours de course fiévreuse, je me vis en possession de ce trophée superbe qui allait augmenter nos richesses scientifiques.

    « Ma conquête appartenait évidemment au sous-genre aigocerus ; ses cornes, de trois pieds de longueur, étaient aplaties et se recourbaient gracieusement en forme de cimeterre ; sa crinière, épaisse et noire, s’étendait jusqu’au milieu du dos, à partir des oreilles, qui étaient d’un châtain vif ; et le manteau, d’un noir de jais, contrastait avec le blanc de neige de la face et du ventre. Je ne pouvais me lasser de l’admirer. Cependant après avoir dessiné et décrit mon antilope sur le lieu même, j’en enlevai la peau et l’ayant plus tard apportée au Cap, où elle arriva sans dommages, elle y fut montée par M. Verreaux, le naturaliste français. J’avais remarqué le premier jour que les femelles ont les cornes pareilles à celles du mâle, que leur robe est variée de même, que leur taille est seulement un peu moins grande (mon buck avait cinquante-quatre pouces au garrot), et que, chez elles, un brun marron foncé remplace le noir de jais. »

    Depuis lors, la possession de cette antilope a été l’un des rêves de tous les chasseurs en Afrique, elle paraît peu nombreuse, et son habitat est d’un accès difficile. Le capitaine Harris l’a trouvée dans les monts Cashan ; Delegorgue et Vahlberg dans ceux de Draken, prolongation de la même chaîne ; c’est au flanc d’un précipice que Baldwin l’a vue pour la première fois, et c’est toujours dans la montagne qu’il l’a surprise, ainsi que G. Cumming.

    (Note du trad.)