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dans la peau quelques chamboks[1], suspendis le tout à un arbre, et je me mis à la recherche de l’autre blessé.

À peine étions-nous partis, que nous rencontrâmes un nouveau rhinocéros ; il n’était guère à plus de vingt pas, nous regardait avec inquiétude et paraissait vouloir se cacher ; c’était une femelle. J’attendis qu’elle se fût détournée et la frappai derrière l’épaule ; elle revint immédiatement sur moi ; mais une balle au milieu du front l’arrêta dans sa course ; elle tomba morte à dix pas. Ce fut un coup de bonheur, car je ne savais où tirer et n’avais pas de temps à perdre, si je l’avais manquée, elle m’embrochait avec sa grande corne.

Un coup heureux.

Derrière elle était un jeune qui se battait contre les chiens en poussant de cris vigoureux. Cet animal ressemblait beaucoup à un tonquin bien nourri, avait les oreilles droites, la peau fine et luisante, comme si on l’eût vernie avec du noir de plomb. Désirant l’emmener vivant, j’écartai la meute et envoyai chercher quatre ou cinq hommes pour le conduire au chariot. Mais pendant que j’étais avec John, voulant tuer un gnou, afin que ce dernier eût quelque chose à emporter, mon petit rhinocéros fut dévoré par hyènes, qui l’avaient préféré à sa mère.

Ce n’est pas la seule fois qu’en chasse, et au grand jour, nous eûmes à nous plaindre de cette odieuse engeance. Plus tard, chez les Amatongas, j’avais blessé une femelle d’inyala qui s’était fait poursuivre longtemps, et qui s’échappa en fin de compte ; l’espèce est très-farouche, très-prudente, et ne peut être approchée qu’avec une extrême précaution. Quelques instants après, je vis un mâle et lui cassai la jambe. Il fut bientôt rejoint par Ragman et Juno ; et, bêlant avec force, il les entraîna dans le fourré, où il les conduisit très-loin.

Les chiens furent admirables ; nous les suivîmes à la voix à travers les broussailles, et je finis par arriver près de Ragman, que je trouvais couvert de sang. Il avait renoncé à la bête, ce qui me surprit tout d’abord ; mais, entendant aux environs une lutte violente, je me dirigeai de ce côté, et vis trois hyènes qui déchiraient l’inyala, expédiant la peau et la chair si prestement que trois minutes plus tard il n’en serait pas resté une parcelle.

Juno avait pris la fuite et ne revint qu’au bout d’une heure. Quant aux hyènes, elles s’éloignèrent à mon approche ; guidé par leurs grognements, je me mis à les poursuivre ; mais bien que j’aie fait une assez longue course derrière elles, il me fut impossible de leur envoyer une balle.

Noue étions alors en novembre ; le surlendemain, nous sortîmes pour aller tuer un hippopotame. Un des indigènes qui nous accompagnaient s’écria :

« Voici une bête morte ; » il la prenait pour une antilope ; moi-même je crus apercevoir une femelle d’inyala. Je me dirigeai vers le cadavre, mes gens y coururent, et, lorsqu’ils arrivèrent à trente pas de l’animal, ils découvrirent que c’était un beau lion à crinière noire, lequel se leva et disparut dans le fourré voisin.

Les Cafres les plus rapprochés de la bête s’évanouirent comme de la fumée ; Ragman, au contraire, donna sur la piste en aboyant. Tout à coup, nous vîmes débucher deux lionnes qui poussaient des rugissements furieux. Le reste des indigènes s’enfuit à toutes jambes.

Les lionnes s’arrêtèrent pour me regarder ; elles n’étaient guère à plus de trente pas. Supposant qu’elles allaient fondre sur moi, je cherchais des yeux un arbre qui pût me servir de refuge ; mais elles rentrèrent dans les buissons, et je ne les revis plus.

Les lionnes s’arrêtèrent pour me regarder.

C’était l’époque des grandes ondées : chaque jour des averses diluviennes ; un sol comme une éponge, entièrement saturé d’eau, et la pluie commençait à s’infiltrer dans ma tente. Ce genre de vie est suffisamment dur par le beau temps ; mais dans cette saison d’averses conti-

  1. Cravaches à la fois souples et résistantes qui ont parfois trois mètres de longueur.