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embourbés sur la plus horrible des routes, nous gagnâmes, le 10, la demeure d’un missionnaire norvégien appelé Lawson. Arrivés là, nous nous trouvâmes en face d’une descente qui, à première vue, nous fit tressaillir. Le révérend nous conseilla d’enrayer trois roues, et de maintenir le chariot avec des courroies pour l’empêcher de culbuter, car cette descente abrupte nous offrait encore une certaine pente latérale. Enfin passant de la théorie à la pratique, M. Lawson nous prêta un ancien trait, que j’avoue ne lui avoir jamais rendu.

Grâce au conseil, au trait, aux courroies, nous arrivâmes au bas de la côte sans accident. Mais nous fûmes moins heureux deux jours après. À force de crier et de frapper sur l’attelage, nous avions gagné le sommet d’une montagne désespérante, dont le versant opposé commençait presque aussitôt ; l’homme qui marchait à la tête du convoi n’avertit pas assez vite pour qu’on pût enrayer, et nous voilà descendant avec une rapidité effroyable. Trouvant la situation peu rassurante, je me jetai sur un gros arbre près duquel passait le chariot, et m’en tirai sans autre mal que d’avoir mis ma chemise en loques.

À peine avais-je accompli ce saut périlleux que j’entendis le wagon s’arrêter subitement ; je courus à l’endroit ou je l’apercevais : dix de nos bœufs entouraient un arbre, et, bondissant comme un possédé, notre conducteur criait d’une voix rugissante : « Mammo, mammi, mammi mammo ! » tandis que le foreloper, l’œil farouche comme celui d’un faucon, gisait couvert de sang ; il avait le crâne fendu sur la gauche, et, selon toute apparence, l’une des roues lui avait passé sur le bras droit.

Je lui fis respirer des sels, lui coupai les cheveux et lavai ses blessures. Les Cafres me regardaient en silence, avec un aspect mêlé de crainte ; mais lorsqu’ils me virent prendre une aiguille et du fil pour recoudre la plaie, ils poussèrent des cris affreux auxquels se joignirent ceux du patient. Il fallut renoncer à ma suture, et me contenter d’un bandage que je serrai le plus possible ; je fis un bon lit dans le wagon pour y étendre le blessé ; mais rien ne put décider celui-ci à se remettre en route ; et ses deux compagnons refusèrent également de partir.

Inyalas. — Dessin de Janet-Lange d’après Baldwin.

Ma position était assez embarrassante ; je n’avais plus qu’un homme pour conduire quatre chevaux et quatre bœufs de rechange, en surplus du wagon. Néanmoins je fis contre fortune bon cœur, et au bout de quelques milles, j’eus la chance de mettre la main sur un garçon qui voulut bien venir avec nous jusqu’au Touguéla pour une demi-couronne.

Le soir, nous fûmes rejoints par deux boers que mes Cafres avaient chargés d’une commission pour moi ; ceux-ci voulaient scarifier le blessé entre les deux épaules et frictionner les scarifications avec de la poudre, qui chez eux est un remède fréquemment employé ; ils n’en avaient pas et m’en faisaient demander. J’ai peur qu’à eux tous ils n’aient tué ce malheureux.

Le 14, nous arrivions à la frontière du Natal où, faute d’un passe-port visé par un magistrat résident, je fus retenu pendant une quinzaine. Trois de mes chevaux moururent en quelques jours de la maladie. Je perdis entre autres ma pauvre Bessie à laquelle je tenais tant, bien moins pour l’argent qu’elle représentait que pour ses nombreuses qualités, surtout à cause de son affection pour moi et de sa résistance à la fatigue. Je lui ai vu faire soixante-dix milles en un jour, et dans quels chemins ! n’être dessellée qu’une fois pendant cette longue traite, et ne pas manifester la moindre lassitude.

Quelques jours après, l’un de mes chiens, mon pauvre Fly, avait disparu ; je suppose qu’il fut mordu par un serpent ; la veille, j’avais tué un mamba d’une longueur de sept pieds. Je gagnai cependant l’Omlilas. Les Cafres